Harriet Sherwood
          Des photos sur facebook d’une soldate en service posant à côtés  de Palestiniens aux yeux bandés ont causé une tempête médiatique. Suite  à cela, deux anciennes soldates ont partagé leur expérience personnelle         
Scène ordinaire de checkpoint en Palestine occupée
Ce fut un simple mot gribouillé sur un mur de  l’université hébraïque de Jérusalem qui a réveillé un souvenir  profondément enfoui en Inbar Michelzon, deux ans après la fin de son  service militaire obligatoire dans les Forces de Défense Israéliennes.
Le mot était "occupation". "Il m’a vraiment semblé que  quelqu’un disait l’indicible" racontait-elle la semaine dernière dans un  café de Tel Aviv. "Cela m’a fait un choc. Il y avait un graffiti qui  disait ’mettez fin à l’occupation’. Et j’ai eu envie, c’est à dire, oui,  maintenant je peux parler de ce que j’ai vu".
Michelson est ainsi devenue une des rares soldates  démobilisées à oser parler de son expérience militaire, chose qui lui a  valu des accusations de trahison et de déloyauté. Il est impossible de  savoir dans quelle mesure ces témoignages décrivent la norme mais ils  contredisent en tous cas l’image de "l’armée la plus morale du monde"que  l’IDF présente d’elle-même.
Des inquiétudes au sujet de la culture de l’armée  israélienne se sont exprimées la semaine dernière suite à la publication  sur facebook des photos d’une soldate en service armé posant près de  Palestiniens aux yeux bandés et aux mains liées. Ces images rappellent  celle du scandale d’Abu Graib en Iraq. Mais l’ancienne soldate, Eden  Abergil, a dit qu’elle ne comprenait pas ce qu’on reprochait à ces  photos que l’armée a pourtant qualifiées "d’horribles et inhumaines".
Israël est le seul pays au monde à appeler sous le  drapeau des femmes de 18 ans pour un service militaire obligatoire de  deux ans. L’expérience peut être traumatisante pour les 10% qui servent  dans les territoires occupés comme dans le cas de Michelzon.
"J’ai quitté l’armée avec une bombe à retardement dans  le ventre" dit-elle. "Il m’a semblé voir l’arrière-cour d’Israël. J’ai  vu des choses dont personne ne parle. C’est comme si je connaissais un  secret infamant sur un pays et qu’il fallait que j’en parle".
Michelzon qui a maintenant 29 ans a commencé son service  militaire en septembre 2000 juste au début de la seconde antifada.  "J’ai rejoint l’armée avec des idées très idéalistes ; je voulais  vraiment servir mon pays". elle fut affectée à Erez le point de passage  entre Israël et la bande de Gaza pour travailler dans la pièce du  contrôle radio.
"Il y avait beaucoup de tension, beaucoup de coups de  feu et d’attaques suicides à la bombe" dit-elle. "Petit à petit on  apprend les règles du jeu. On doit se montrer durs avec les Arabes -  c’est la règle la plus importante- parce que c’est l’ennemi.
Elle a donné l’exemple courant d’une femme palestinienne  assise au barrage. Michelzon a appelé son officier pour lui demander  l’autorisation de laisser passer la femme. On lui a répondu de réitérer  la demande quand la femme aurait attendu plusieurs heures. "Je me suis  senti très seule dans l’armée. Je ne pouvais pas parler de ce qui ne me  semblait pas aller", dit-elle. "Je n’avais pas des idées très arrêtées  mais cela m’a mise mal à l’aise tout comme de voir les soldats qui  frappaient les Arabes en riant. Il me semblait que tout le monde  trouvait ça normal et que j’étais la seule que cela gênait. Je me  sentais à l’écart".
Michelzon a expliqué qu’à la fin de son service  militaire, en juin 2002, elle a ressenti le besoin de s’échapper et elle  est allée en Inde. "J’ai eu une dépression nerveuse que j’ai surmontée  petit à petit" dit-elle. C’est seulement quand elle est retournée à  l’université et après deux années de thérapie qu’elle a commencé à  penser qu’il était de son "devoir" de raconter ce qu’elle avait vu.
Elle a rencontré "Breaking the Silence" une organisation  d’anciens combattants qui publie des témoignages d’anciens soldats sur  la vie dans les territoires occupés pour stimuler le débat sur "le coût  moral" de l’occupation.
Michelzon a donné son témoignage au groupe et il y a  deux ans elle est apparue dans un documentaire : "Pour voir si je  souris" concernant l’expérience de jeunes femmes à l’armée. Le film,  dit-elle a été critiqué de tous côtés. La gauche s’est concentrée sur  les mauvaises actions que nous avions commises et pas sur le fait que  nous voulions initier un débat. Nous voulions tendre un miroir à la  société israélienne pour qu’elle se regarde dans les yeux.
La droite a réagi en disant : pourquoi faites-vous ça à  votre propre pays ? Détestez-vous votre patrie ? Mais je l’ai fait parce  que j’aime mon pays. Nous avons dû nous battre pour faire comprendre  que nous voulions parler de la situation politique".
L’impact psychologique du service militaire sur les  femmes est indéniable, selon les témoignages de Michelzon et d’autres  femmes, surtout si elles ont servi dans les territoires occupés. "Un  femme qui veut survivre dans l’armée doit se comporter comme un homme"  dit-elle. "Il n’y a pas de place pour les sentiments. C’est comme un  concours à qui sera le plus dur. Et souvent les filles essaient de se  montrer plus agressives que les garçons."
Son expérience ressemble à celle de Dana Golan qui a  servi en Cisjordanie, dans le ville d’Hébron en 2001-02 ; elles étaient  25 femmes au milieu de 300 hommes. Comme Michezon, Golan n’a parlé  qu’après avoir terminé son service. "Si j’avais exprimé mes angoisses  cela aurait été interprété comme de la faiblesse" dit-elle.
Golan qui a maintenant 27 ans, dit que "le moment de son  service militaire qui l’a le plus ébranlée" a été quand ils ont  perquisitionné une demeure palestinienne à la recherche d’armes. Les  soldats ont réveillé la famille à deux heures du matin et "ont  complètement retourné toute la maison". Ils n’ont pas trouvé d’armes.  Elle se souvient que les petits enfants de la maison étaient terrifiés.  "J’ai pensé : qu’est-ce que je ressentirais si j’étais cet enfant de  quatre ans ? Comment est-ce que je grandirais ? A ce moment-là je me  suis dit que parfois nous faisions des choses qui créaient seulement des  victimes. Pour être un bon occupant, on doit fabriquer du conflit."
Une autre fois elle a vu des soldats voler des choses  dans un magasin d’électroniques. Elle a essayé de le signaler mais il  lui a été simplement répondu "de se mêler de ses affaires".
Elle raconte aussi qu’elle a vu de vieux Palestiniens  humiliés dans la rue "et je me suis dit qu’ils pourraient être mes  parents ou mes grands parents".
Israël ne supporte pas ces témoignages, dit-elle, en  partie à cause de fait que tout le monde fait son service militaire  (sauf les religieux NdT). "On nous élève dans l’idée que l’IDF est  l’armée la plus morale du monde. Tout le monde connaît quelqu’un qui  fait son service militaire. Alors quand je dis qu’on fait des choses  immorales, c’est comme si j’accusais votre soeur ou votre fille. Les  gens ne veulent pas savoir."
L’IDF s’enorgueillit de ce que 90% de ses fonctions  soient ouvertes aux femmes comme aux hommes. "Servir dans une unité de  combat où on a des contacts quotidiens avec des gens qui pourraient vous  faire du mal n’est pas facile ; On doit être dur" dit le capitaine Arye  Shalicar un des porte-paroles de l’armée. "Ce n’est pas difficile  seulement pour les femmes, ça l’est pour tous. En fin de compte une  unité de combat est une unité de combat. Il y a parfois des incidents.  Tout n’est pas 100% parfait ni juste". L’armé, dit-il a des procédures  pour signaler les dysfonctionnements que les soldats sont encouragés à  utiliser".
Ni Michelzon, ni Golan, ne regrettent pas d’avoir décidé  de tout dire. "Pendant deux ans j’ai vu des gens souffrir et je n’ai  rien fait et ça, c’est vraiment effrayant," dit Michelzon. "A la fin  j’avais le sentiment que l’armée m’avait trahie, qu’ils m’avaient  utilisée ; je ne me reconnaissais pas. Ce que nous appelons protéger  notre pays s’appelle en fait détruire des vies".
22 août 2010 - The Guardian - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://www.guardian.co.uk/world/201...Traduction de l’anglais : Dominique Muselet