Jeudi 29 Juillet 2010
Neve Gordon raconte l’expérience de sa visite au  village arabe israélien Al-Arakib quelques instants après qu’il a été  rasé par l’autorité israélienne, lors de la toute dernière affaire de  nettoyage ethnique dans le désert du Néguev.
Un convoi de bulldozers  menaçants rentrait à Beer Sheva tandis que je conduisais vers le village  Al-Arakib, un village bédouin sis à plus de 10 minutes de la ville. En  entrant sur le chemin de terre menant au village, j'ai vu des dizaines  de fourgons avec des policiers lourdement armés qui se préparaient à  partir. Leur mission avait semble-t-il été accomplie.
      Les signes de destruction ont été immédiatement  visibles. J'ai d'abord remarqué des poulets et des oies qui couraient  en liberté près d’une maison démolie au bulldozer, et j’ai vu ensuite  une autre maison, et puis un autre, toutes réduites à l’état de  décombres. Quelques enfants essayaient de trouver un endroit ombragé  pour se cacher du soleil brûlant du désert, tandis que derrière eux un  nuage de fumée noire s'élevait d’un tas de foin en train de brûler. Les  moutons, les chèvres et le bétail n’étaient visibles nulle part –  peut-être parce que la police les avait confisqués.
      Debouts sur la colline jaune, des dizaines de  Bédouins partageaient ce qu’ils avaient vécu tôt dans la matinée, et  tout autour, des oliviers déracinés étaient abattus sur la terre. Un  village entier, comprenant entre 40 et 45 maisons, avait été totalement rasé en moins de trois heures.
      J’ai soudain ressenti une impression de déjà vu :  une image de moi marchant dans les ruines d’un village détruit quelque  part à la périphérie de la ville libanaise de Sidon m’est revenue.  C’était il y a plus de 25 ans, pendant mon service dans les  parachutistes israéliens. Mais au Liban les habitants avaient tous fui  longtemps avant la venue de mon peloton, et nous marchions simplement  dans les débris. Il y avait quelque chose de surréaliste dans cette  expérience. Cela m'a empêché de bien comprendre sa signification pendant  plusieurs années. À l'époque, c'était comme si je me baladais sur la  lune.
      Cette fois, l'impact de la destruction m’a  immédiatement investi. Peut-être parce que les 300 personnes qui  habitaient à Al-Arakib, incluant leurs enfants, étaient assises dans les  ruines quand je suis arrivé, et que leur angoisse était évidente ; ou  peut-être parce que le village est situé à seulement 10 minutes de ma  maison à Beer Sheva et que je conduis en passant là chaque fois que je  vais à Tel-Aviv ou Jérusalem ; ou peut-être parce que les Bédouins sont  des citoyens israéliens, et que j’ai soudain compris jusqu’à quel point  l'État est prêt à aller pour mener à bonne fin son objectif de  judaïsation de la région du Néguev ; ce que j'ai vu, après tout, c’était un acte de purification ethnique.
      Ils disent que la prochaine Intifada sera bédouine. Il y a 155.000 Bédouins dans le Néguev, et plus de la moitié vivent dans des villages non reconnus,  sans électricité ni eau courante. Je ne sais pas à ce qu'ils peuvent  faire, mais en transformant en sans-abri 300 personnes, dont 200 sont  des enfants, Israël est sûrement en train de provoquer les troubles  qu’il a l’intention d’empêcher.
      Neve Gordon enseigne la politique à l'université Ben-Gourion et il est l’auteur de Israel’s Occupation. On peut le contacter sur son site www.israelsoccupation.info.
Original : www.redress.cc/palestine/ngordon20100729
Traduction copyleft de Pétrus Lombard
Traduction copyleft de Pétrus Lombard