H. Siddiqui  - Thestar.com
          La Turquie n’a pas renoncé à son rêve de rejoindre l’Union  européenne. Elle n’est pas devenue « anti-Occident ». Elle n’a aucune  intention de réduire ses relations si anciennes avec Israël.         
          Davos, 29 janvier 2009. Recep  Erdogan quitte le plateau après un accrochage verbal avec Shimon Peres,  lors du débat sur le Moyent-Orient.
(Reuters)
 C’est ce que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré à  Star, hier lors d’un entretien.
Mais il a ajouté que les relations avec Israël  resteraient tendues tant qu’Israël n’aura pas satisfait à quatre  conditions :
- qu’il présente ses excuses pour le raid du 31 mai sur le bateau turc qui faisait partie de la flottille transportant de l’aide humanitaire pour Gaza ;
 
- qu’il verse une indemnité aux familles des neufs tués, huit Turcs et un Turc/Etats-unien ;
 
- qu’il accepte une enquête internationale, comme demandée par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, sur l’incident (par opposition à une investigation israélienne) ; et,
 
- qu’il lève l’embargo sur la bande de Gaza.
 
Quand on  lui rappelle qu’Israël a déjà annoncé un allègement de l’embargo,  Erdogan répond :
« Nous avons entendu ces déclarations  mais aucune mesure n’a été prise. Des déclarations semblables ont déjà  été faites dans le passé. »
Il indique aussi que la Turquie envisageait d’intenter  un procès à Israël au nom des victimes.
Erdogan est allé à Toronto au sommet du G20 aussi pour  soulever la question avec Barack Obama lors d’une réunion bilatérale qui  s’est tenue hier soir. Il avait amené avec lui de nouveaux arguments  avec des clichés et des rapports médico-légaux sur les morts.
La Turquie, membre de l’OTAN, a été longtemps le  meilleur allié musulman d’Israël. Mais les relations sont devenues  tendues avec la guerre contre la bande de Gaza fin 2008/début 2009, que  Erdogan a condamnée et qui l’avait a amené à dire qu’ « Israël  était la principale menace pour la paix au Moyen-Orient ».
Il y a eu aussi l’initiative de la Turquie avec le  Brésil pour un compromis sur la question du nucléaire iranien, qui fut  rejetée par Washington. Et la Turquie a voté contre la résolution  initiée par les Etats-Unis au Conseil de sécurité des Nations unies pour  de nouvelles sanctions contre l’Iran.
 Et après les évènements du 31 mai, Erdogan a déclaré  qu’Israël avait commis une « erreur historique »,  qu’ « Israël risquait de perdre son ami le plus  important dans la région s’il ne changeait pas de mentalité, » et  que « la paix et la stabilité ne viendraient pas dans la  région aussi longtemps que le blocus de la bande de Gaza serait  maintenu. »
Lors de l’interview d’hier, Erdogan a dit que la  flottille humanitaire pour Gaza avait été organisée par des  organisations non gouvernementales, qu’elle transportait des volontaires  de 33 nations, avec de l’aide humanitaire : nourritures, médicaments,  jouets, matériaux de construction, etc.
Elle a été attaquée « dans les eaux  territoriales, à 72 miles (...) des eaux territoriales d’Israël.  Malheureusement, des pistolets, des fusils et des balles en plastique  ont été utilisés. »
Il se dit habitué à l’argument selon lequel Israël  aurait le droit de se défendre. « Bien sûr que vous  pouvez protéger vos frontières contre des gens armés ou contre un ennemi  militaire, et vous pouvez envisager une telle action à l’intérieur de  vos propres frontières.
« Mais vous n’en avez pas le droit dans  les eaux internationales...
« J’interprète cela comme du terrorisme  d’Etat. »
Il précise même que certains des tués ont été abattus « de près », « à bout portant », « dans la poitrine du bas vers le haut », « dans la nuque ».
S’il n’y avait pas eu intention de tuer, les balles  plastique auraient été tirées au-dessous du genou, dit-il.
Lorsque les navires ont été remorqués vers un port  israélien et les passagers mis en détention, Erdogan dit qu’il a appelé  Obama, « et grâce aux efforts très intenses fournis par  les Américains, les personnes en détention nous ont été remises dans les  24 heures.
 « Je suis très reconnaissant au  Président Obama pour son intervention. S’il n’y avait eu cette réaction  très rapide de la part du Président Obama, les choses auraient été plus  problématiques. »
Erdogan cite des rapports des Nations unies, et  d’autres, qui montrent que Gaza connaît une catastrophe humanitaire, et  il ajoute que l’aide promise lors de la conférence des donateurs n’a pas  toujours été apportée. Les infrastructures détruites sont toujours en  ruine.
- La Turquie est-elle devenue anti-israélienne ?
 
Pas du tout.
« Je veux être très clair. Au  Moyen-Orient, la Turquie est le seul pays ami d’Israël, au point qu’à  l’époque du gouvernement Olmert, la Turquie a aidé Israël à avoir des  pourparlers indirects avec la Syrie.
« Nous avons fait cinq séances de  discussions, la dernière s’étant passée dans ma résidence officielle,  pendant 6 heures, en présence d’Olmert. Nous avions mis sur le papier  une sorte d’accord... Cette réunion était un lundi. Et nous avions  décidé de nous revoir le vendredi pour parachever le travail.
Cette réunion du vendredi n’a jamais eu lieu, et le  samedi, «  les bombardements israéliens commençaient sur  la bande de Gaza ».
Alors que le vendredi approchait, les Israéliens « ne répondaient plus à nos appels : ils devaient être  occupés à préparer le bombardement de Gaza. Au début, quand nous les  appelions, ils nous rappelaient toujours, mais pas cette fois. »
- Alors que la Turquie recherche toujours des relations plus étroites et à développer ses échanges commerciaux avec ses voisins, et qu’elle émerge comme acteur régional fort au Moyen-Orient, est-elle en train de se détourner de l’Occident ?
 
« Ce serait tirer une très mauvaise  conclusion. La Turquie développe ses contacts à travers le monde. Mais  elle n’a réduit ses relations avec personne. Une telle chose n’est pas  dans son agenda. »
- Et à propos de l’Union européenne, la Turquie a-t-elle renoncé à y entrer ? Le secrétaire à la Défense US, Robert Gates, a récemment accusé l’Europe d’avoir « poussé et repoussé » au loin la Turquie. Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a approuvé, disant, « Nous, les Européens, avons eu tort de repousser la Turquie vers l’Orient au lieu de l’amener à nous. »
 
Mais Erdogan répond que la Turquie a toujours une grande  volonté d’adhérer à l’Union européenne.
« Nous continuons, avec détermination, à  marcher sur la voie européenne, malgré les efforts d’une partie de l’UE  pour empêcher l’ouverture de certains chapitres qui font partie du  processus de négociations. » 
 Haroon Siddiqui, est éditorialiste au Toronto Star, le plus grand journal du Canada. Il s’est  rendu dans 40 pays et a couvert, entre autres, l’invasion soviétique de  l’Afghanistan, la crise des otages américains en Iran, et la guerre  Iran-Iraq.
Son courriel : hsiddiqui@thestar.ca