Kara Newhouse - Palestine Monitor
          La semaine passée, Palestine Monitor a parlé de l’assassinat  par la police israélienne d’un habitant de Shu’fat, Ziad Jilani, dans le  quartier de Wadi Joz de Jérusalem-Est. Aujourd’hui, sa veuve, citoyenne  états-unienne, se penche sur la vie et la mort de son époux, et le  chemin qu’elle a parcouru avec lui. Reportage de Kara Newhouse.         
Moira Jilani, épouse de feu Ziad  Jilani, originaire de Jérusalem-Est, avec leurs filles,
Moira Jilani se souvient très bien, « Je  me sentais bien ce jour-là. Nous allions sortir et faire la fête car  nos enfants venaient la veille de terminer leurs examens, » me  dit-elle. Nous sommes dans la maison de son beau-frère, là où elle passe  ses journées depuis la mort de Ziad, le 11 juin. « Nous  nous étions habillés de neuf, après avoir rangé nos vêtements d’hiver.  Nous avions mis la musique fort, et les filles dansaient. Nous étions  prêts à partir. »
« C’est alors qu’Aya (sa nièce) est  venue frapper à la porte, elle était en pleurs, son visage était tout  ruisselant. Elle nous dit, "Maman veut vous voir. Il faut venir tout de  suite" ; je lui dis, "Aya, Aya, est-ce que c’est Ziad ?" Elle ne  répondait pas. Elle ne pouvait rien dire. J’ai su alors que Ziad était  mort. »
Moira n’a été au bord des larmes qu’une seule fois lors  de notre entretien qui a duré trois heures. La plupart du temps, elle  parlait d’une voix glaciale, sa colère étant plus forte que son émotion  par le meurtre de Ziad et plus largement, par toute l’injustice qu’il  renferme.
« Un soldat a tué un homme aujourd’hui.  En quoi est-ce nouveau ? C’est comme cela que le monde entier voit les  choses, » dit-elle. « Tous les jours, nous entendons  cela, mais cette fois, ça ne va pas s’arrêter là. Mon époux a été tué  de mort violente. Si vous voyez quelqu’un faire cela à un chien, vous  vous mettez à pleurer. Alors, le voir faire à un être humain... »,  là, elle se bloque.
Selon les sœurs de Jilani, la mort de leur frère est un  acte gratuit, pour elles, et elles insistent, s’il avait commis un crime  la police aurait dû l’arrêter et faire une enquête. Au lieu de cela,  des agents ont tiré sur Jilani à bout portant, dans la tête, alors qu’il  était tombé à terre, blessé par les premières balles. Si Ha’aretz a d’abord parlé d’un tir provoqué par « un soupçon d’agression terroriste », disant que Jilani  aurait heurté trois policiers avec son camion, l’article d’Amira Hass de  ce mercredi évoque d’autres possibilités à l’incident : il y avait  énormément de piétons à circuler qui rentraient de la prière du  vendredi, et des témoins ont vu que des pierres étaient jetés sur les  policiers. Certains disent avoir vu des pierres tomber sur le véhicule  de Jilani, lui faisant faire un écart. (*) Des milliers de Palestiniens ont alors afflué  dans le quartier de Shu’fat de Jilani, les deux jours qui suivirent sa  mort. Bien que Jilani n’ait été membre d’aucun parti politique, très  vite, il fut appelé le « Shaheed (martyr) Ziad Jilani »  sur les affiches.
« En Amérique, quand les gens pensent à  un martyr, ils pensent, "il voulait la guerre, il est devenu martyr" »  dit Moira. « Non. Il n’était pas parti se battre. Il  est mort d’une mort islamique, sans armes. Il n’avait même pas un crayon  pour se défendre. Un crayon est considéré comme une arme ici ».
« Ici », c’est très loin de sa patrie à Moira : les  Etats-Unis et la Barbade. Elle a rencontré Ziad au Texas, au début des  années 90, où elle dirigeait une chaîne de pizzerias, la Sbarro. Lui  était étudiant à l’université A&M du Texas (agronome et mécanique).  « Nous sommes devenus inséparables dès le premier jour  où nous somme rencontrés, » dit-elle. « Mon mari  était le genre d’homme que les gens voulaient connaître simplement par  son regard. Ses yeux racontaient des histoires. Ils dansaient toujours  pour moi. »
Ziad et Moira Jilani à Barbade, en  2003.
Moira a attendu un enfant six mois après son mariage  avec Ziad, et son premier voyage en Palestine, elle l’a fait pour le  mariage de son beau-frère. « Je n’étais pas très sûre de  moi en venant ici, parce que tout ce que j’avais vu aux infos, c’était  des Palestiniens qui lançaient des pierres et des choses comme cela -  j’étais alors vraiment influencée par la propagande, » dit-elle.
Elle n’a pas tardé à tomber amoureuse du pays de son  mari, et le couple décida alors de rester à Shu’fat. «   Je ne parlais pas un mot d’arabe, mais j’étais heureuse avec une famille  merveilleuse tout autour de moi » explique Moira. « Mes  enfants avaient tellement d’oncles, tellement de tantes, tellement de  cousins. Ils se voyaient tous les jours, ils allaient les uns chez les  autres. Ce n’était pas comme en Amérique où on voit juste les amis. Je  n’avais jamais connu le bonheur d’une famille aussi grande, aussi  aimante, auparavant. C’était merveilleux. »
Après la mort de Ziad, cette grande famille et les  quartiers les plus proches d’où elle vivait sont même devenus plus  importants. Moira indique que la nuit précédente, elle a trouvé sa  seconde fille, Mirage, pleurant sur les photos de son père. L’enfant de  15 ans a dit alors à sa mère qu’elle avait peur d’oublier son père.  Moira lui a répondu, « Déjà ? Il vient juste de mourir.  Ne t’inquiète pas, personne ici ne te laissera oublier ton père. »
C’est avec un sourire que la famille raconte les voyages  à Jéricho, quand Ziad emmenait ses filles et les cousins dans son  camion, par une route déserte. « Nous allions là-bas  pour pique-niquer avec toute la famille. Les enfants y allaient  simplement pour qu’il les laisse conduire, même les voisins, »  racontait Moira.
Ziad Jilani avec son neveu,  Mohammed, à Jéricho.
L’entrée de Moira par son mariage dans la famille de  Jilani a changé sa vision du monde, avant même qu’un policier israélien  n’assassine son mari. Elle décrit sa réaction au traitement plein de  préjugés que Ziad a subi à l’aéroport Ben Gourion, quand il sont arrivés  la première fois dans sa patrie occupée : « J’ai été  choquée. J’ai voyagé partout dans le monde, mais je n’avais jamais  voyagé avec un Palestinien. Cela m’a ouvert les yeux. »
Elle intervient plusieurs fois sur l’oppression des  Palestiniens par Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et  Jérusalem-Est, et elle jure que pour la mort de son époux, elle n’en  restera pas là. « Je vais dire à tous ceux avec qui je  parlerai que leurs impôts ont servi à payer les balles qui ont traversé  la tête de mon époux. Qu’ils paient pour les avions qui viennent  bombarder Gaza ».
Les autorités israéliennes ont dit à Moira qu’elles  faisaient faire une enquête interne sur la mort de son mari. Elles ont  saisi l’ordinateur portable de son mari jeudi. Moira n’a reçu ni les  rapports médicaux sur son mari ni la moindre information sur ce qu’est  devenu son véhicule, lequel pourrait contenir les preuves confirmant les  jets de pierres qui ont gêné sa conduite. Moira dit qu’elle engage une  action juridique sur la mort de son mari. Elle refuse de discuter des  détails, mais elle affirme qu’elle ne réglera pas cela en dehors du  tribunal (**). Ce nouveau combat va conduire sa vie.
« Ici c’est la maison de mes enfants.  Ils doivent pouvoir y vivre en liberté. J’aime tellement ce pays que je  suis prête à y rester et à sacrifier toute vie facile. Mon époux,  hamdi’lillah (Dieu merci)... ce chemin à ses côtés... comme je l’ai  aimé. Simplement, je ne pensais pas qu’il s’arrêterait si tôt. »
Ziad avec ses enfants
(*) Enquête du PCHR : Selon l’enquête, il est environ 13 h, après la prière du vendredi, Ziad Mohammed Badawi al-Joulani, 41 ans, se rend en voiture visiter des parents dans le secteur de Housh al-Hadami, dans le quartier de Wad al-Jouz. Alors qu’il arrive dans le quartier, il voit des soldats israéliens postés à un barrage volant. Des enfants palestiniens sont en train de leur lancer des pierres. Quand al-Joulani s’engage dans une petite rue, les soldats le prennent en chasse. Il arrête sa voiture et descend, aussitôt ils lui tirent dessus. Il est blessé de 3 balles, dans le bras gauche, dans le ventre et dans la cuisse droite, et il s’écroule. Un soldat israélien s’approche de lui et, à bout portant, lui tire deux balles supplémentaires, une dans la cuisse droite et une dans la tête. L’hôpital où il est dirigé constate son décès. Al-Joulani était marié, et père de trois enfants. Autre conséquence des tirs de l’occupant, un enfant de 5 ans, Ilham Sa’id al-Silwadi est également blessé par un éclat à la tête et au cou. Les troupes israéliennes ont également tabassé Mahmoud ‘Othman al-Joulani, 34 ans, alors que celui-ci essayait de porter secours à la victime.
Rapport du PCHR du 10 au 16 juin 2010 (1 -  Incursions - 11 juin - Jérusalem).
(**) - Ce sont les  tribunaux de l’occupant israélien - ndt.