Philippe Leymarie
L’armement terrestre et aéroterrestre ne  connaît pas la crise. Ou pas trop – pour le moment – si l’on en juge par  le nombre record d’exposants (1300) au salon Eurosatory, qui se tient à  Paris-Villepinte du 14 au 18 juin. Le nouvel hélicoptère de combat  EC645 d’Eurocopter doit y être dévoilé, de même que des nouveaux drones  tactiques… Thalès, appuyé par Nexter et Safran, doit être désigné (de  préférence à EADS) comme architecte de « Scorpion », le vaste plan de  modernisation de l’armée de terre française (qui consommerait 20  milliards d’Euros sur vingt ans)… La présence israélienne à ce salon (58  exposants) est toujours aussi fournie, même si le déplacement à Paris  du ministre de la Défense Ehud Barak a été annulé au dernier moment.
Dans le classement des  exposants, la France – pays-hôte – figure naturellement en tête (400),  devant les Américains (123), les Allemands (118), les Britanniques (88)  et donc les Israéliens (58). Au total, plus de cinquante pays sont  représentés, y compris la Chine qui dispose d’un pavillon national, tout  comme le Brésil et l’Afrique du Sud, ainsi que des pays d’Europe de  l’Est, traditionnellement très actifs dans l’armement terrestre (Russie,  Ukraine, Bulgarie, Roumanie).
Mais sont présents également des Australiens, des  Bosniaques, un groupe saoudien qui produit des blindés, une  demi-douzaine d’exposants des Emirats arabes unis – le plus grand  importateur d’armes (et d’avions civils) sur ces cinq dernières années…  Une cinquantaine de milliers de professionnels sont attendus à  Villepinte, transformé l’espace de quelques jours en un vaste centre  d’affaires pour la discussion et parfois la signature de contrats  d’armement.
En dépit de la crise, les dépenses militaires mondiales –  toutes spécialités – ont atteint un nouveau record pour 2009, selon le  rapport de l’Institut de recherche pour la Paix de Stockholm (SIPRI)  publié le 2 juin dernier : 1531 milliards de dollars ont été consacrés  au secteur militaire (+ 6 % par rapport à 2008, et + 49 % par rapport à  l’année 2000), avec comme champions les Etats-Unis (661 milliards), la  Chine populaire (une centaine de milliards), la France (63,9), etc. Les  dépenses militaires ont été en hausse en 2009 dans les deux tiers des  pays recensés par le SIPRI, la zone Asie-Océanie ayant été la plus  active (+ 8,9 %).
Stocks dangereux
Déjà, en mars 2010, l’institut suédois s’était ému de la  constitution de stocks d’armes – avions, navires, missiles, etc – jugés  « dangereux », notamment dans certaines zones de l’ex-tiers-monde. Il a  calculé que le total des transactions sur l’armement a atteint 116  milliards de dollars de 2005 à 2009 (contre 96 milliards sur les cinq  ans précédents), donc une augmentation de 22 %. Avec toujours les mêmes  grands vendeurs : Etats-Unis (35 milliards, + 17 %), Allemagne (12  milliards, + 100 %), France (9,2 milliards, + 30 %), à l’exception d’un  recul sévère du Royaume-Uni (5milliards, - 11 %).
Et du côté des acheteurs, des surenchères régionales  ruineuses : la Grèce, sous prétexte de tenir tête à la Turquie, s’équipe  au rythme d’un milliard de dollars par an ; la Malaisie a multiplié par  huit ses achats, et Singapour est devenu le septième importateur du  monde, derrière la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, les Emirats arabes  unis, la Grèce et Israël. L’Algérie s’est hissée à la 9ème place  mondiale, après avoir consacré 3,4 milliards à des achats d’équipements  militaires. Sur des volumes plus modestes, le Qatar, la Syrie, Oman  enregistrent des progressions plus fortes.
La France, qui a signé 7,95 milliards d’euros de  commandes en 2009 pour des équipements de défense à l’export – grâce  notamment au contrat sur la vente de sous-marins de type « Scorpene » au  Brésil –, espère atteindre les 10 à 12 milliards de commandes en 2010, à  condition qu’un au moins des contrats envisagés sur la vente de  chasseurs Rafale aboutisse, de même que le projet de vente des Bâtiments  de projection et de commandement (BPC) à la Russie. « Nous renouons  avec les chiffres des années 2000 malgré la crise », s’était félicité en  février dernier Laurent Collet-Billon, le délégué général de  l’armement, qui espérait pouvoir devenir le troisième exportateur  mondial du genre, derrière les USA, le Royaume-Uni, mais devant la  Russie, la Chine ou Israël. La « war room » de l’Elysée Retour à la table des matières
Mais, en dépit de la mise en place d’une soit-disant  « war room » à l’Elysée, pour booster les grands contrats d’armement ou  assimilés (comme le nucléaire), et éviter les déconvenues (comme le  choix des Marocains en 2007 en faveur du chasseur F16 américain au  détriment du Rafale), on a assisté à une suite d’échecs ou de reports  retentissants : les réacteurs EPR rejetés par la Corée du Sud ; les  atermoiements de la Libye, de la Grèce, de l’Inde et du Brésil à propos  du Rafale ; les complexités politiques de l’éventuel accord qui serait  passé avec la Russie sur la vente des BPC… tout cela malgré des  déclarations arrogantes, des signatures enthousiastes, etc.
Dans l’armement terrestre – la spécialité d’Eurosatory –  les Français sont cependant optimistes, après plusieurs années de  vaches maigres : croissance de 20 % du chiffre d’affaires en 2009 (5,26  milliards d’euros) par rapport à 2008 ; 2 milliards à l’export ; une  forte progression dans les hélicoptères et les véhicules blindés. Le  groupement des industries de défense terrestre (GICAT) – qui organise  Eurosatory – s’inquiète cependant des conditions d’exécution de la Loi  de programmation militaire (LPM) « dans un contexte de restriction  budgétaire ».
Il a sans doute raison de s’inquiéter. Ce lundi, dans  son discours inaugural du salon Eurosatory, le ministre français de la  défense, Hervé Morin, a déclaré : « Nous devons encourager les  industriels à nouer des partenariats, des regroupements, des  coentreprises et il nous faut réfléchir aux complémentarités  européennes, la contraction considérable des budgets nous impose d’être  déterminés et d’avancer dans ce sens.
Nous devons, pour chaque pays européen, définir quelles  sont les compétences et les technologies que nous voulons conserver au  niveau national, celles sur lesquelles nous sommes prêts à nous mettre  en commun, et enfin celles sur lesquelles nous sommes prêts à nous  mettre en situation d’interdépendance. »
Nouvel Angolagate ?
L’ONG Oxfam considère que, pour atteindre ses taux de  croissance actuels, « la France brade ses engagements européens sur le  contrôle du commerce des armes », continuant d’exporter en direction de  pays comme le Tchad, la Colombie ou Israël, notoirement impliqués dans  de graves violations des droits humains ou dans des crimes de guerre.
Car, si les ventes augmentent, le contrôle effectif,  lui, ne progresse pas. Oxfam estime que, « sans régulation, le commerce  des armes n’est rien d’autre qu’un business de la mort ». Le régime  d’attribution des autorisations d’exporter du matériel de guerre a été  plutôt allégé ces dernières années. L’association considère qu’en  l’absence d’une loi sur le contrôle des intermédiaires, passée au Sénat  en 2007 mais jamais présentée à l’Assemblée nationale, un « nouvel  Angolagate est toujours possible » en France.
publié sur le blog du Monde  diplomatique "Défense en ligne"