Eva Brugnettini - Resistenze
          L’historien israélien Ilan Pappé, appartenant au courant des  « nouveaux historiens », a mené des études qui ont bousculé les mythes  liés à la naissance de l’Etat hébreu, à l’instar de celui qui définit la  Palestine comme « terre sans peuple », ou bien, selon lesquels les  Palestiniens abandonnèrent de plein gré leurs propres villages.         
          Ilan Pappé
Les études de Pappé lui ont attiré bon nombre de  critiques et une sorte d’ostracisme, même en Italie. Ainsi, seulement  deux de ses nombreux essais ont été traduits en italien. Ceux-là aussi  ont eu droit à un accueil « froid » le long d’un parcours non sans  grande difficulté. C’est pourquoi, il était évident que l’arrivée en  Italie de l’historien israélien (le 08 avril à Ravenne) ne suscita pas  l’engouement médiatique qu’elle méritait.
Colonialisme
Pappé  aspire à redéfinir le langage qui détermine le  conflit au Proche-Orient. Dans cette perspective, il s’est associé, dans  l’élaboration d’un ouvrage sur la question israélo-palestinienne, au  célèbre linguiste et politologue Noam Chomsky. La parution est prévue  pour l’été prochain. Ainsi, le premier mot à introduire dans le vocabulaire du conflit est  « colonialisme » : « Le sionisme, dit-il, est un mouvement des hébreux  retournés en Palestine à la recherche d’un refuge, après deux mille ans  d’exil, fuyant l’antisémitisme européen. Toutefois, il convient  d’ajouter le vocable ‘colonialisme’ au sionisme. Il suffit de consulter  le dictionnaire pour comprendre ce qui se produit en Israël et en  Palestine ».
Afin d’expliquer son approche, Pappé fait la distinction  entre deux types de colonialisme. Le premier vise l’exploitation par  laquelle les colonisateurs exploitent les ressources des nouvelles  terres au profit de l’empire. Le second est semblable à celui vécu en  Australie, en Amérique du nord et en Afrique du sud, où les  colonisateurs quittent la mère patrie dans le but d’entamer une nouvelle  vie sur les nouvelles terres d’accueil, tout en se démarquant des  populations autochtones. Ce dernier exemple est perçu par Pappé comme  s’approchant le plus du modèle juif.
Un « colonialisme unique », manifestement, mais dont  l’une des composantes est le processus de judaïsation. « Tous les  gouvernements hébreux, même ceux de gauche, se sont toujours engagés  dans la judaïsation, principalement celle de la Galilée. Aucun  journaliste n’en parle car cette démarche n’est pas perçue comme un  processus ‘criminel’ ». Cependant, du point de vue colonialiste, il  s’agit d’un aspect fondamental qui amène à l’aliénation des palestiniens  jusqu’à ce qu’ils deviennent étrangers dans leur propre pays.
D’après l’historien israélien, comprendre la situation  au Proche-Orient nécessite un regard plus complexe qui ne se focalise  pas seulement sur les fautes israéliennes, mais fait ressortir ce qui  est paradoxalement considéré comme positif. Le « colonialisme » peut  créer de belles choses. La renaissance de la langue hébraïque, une ville  comme Tel Aviv, des expériences de  socialisme comme les kibboutz ont  pu être réalisés car les juifs étaient libres dans une société nouvelle,  affranchis des traditions européennes. Il y a un fait excitant par  rapport aux crimes les plus odieux. Il en résulte une sorte de double  espace ; si l’on ignore l’un d’entre eux, il devient impossible de  décrire la situation comme elle est réellement. Le problème ne sera pas  résolu si Israël est considéré comme une présence malveillante. Il  convient de comprendre les deux espaces pour s’impliquer en connaissance  de cause.
Retour
Pappé désigne un autre terme à éliminer. Il s’agit de  « occupation » qui   « sous-entend l’idée d’une situation temporaire,  faisant partie d’un conflit. Celle qui dure depuis 1967 pourrait être  une occupation si Israël avait vraiment eu l’intention de partir ou de  rester dans les Territoires Palestiniens pour se défendre, mais cela  relève de l’illusion ».
Pour aboutir à cette conclusion, Pappé a dû consulter  les archives de l’Etat israélien, les étudiant alors qu’il écrivait « Le  nettoyage ethnique de la Palestine ». Ce dernier ouvrage stipule que  « selon les premiers programmes de 1948, la Cisjordanie devait déjà  faire partie de l’état israélien car la création d’Israël nécessitait le  plus de terres palestiniennes possible d’une part, et la plus petite  minorité palestinienne possible d’autre part.
Pendant la guerre pour la fondation de l’état, Israël a  conquis 80% de la Palestine en chassant près d’un million de  Palestiniens. Mais pourquoi ne pas avoir conquis la totalité de la  terre ? Pour des motifs politiques. Il y avait un accord avec la  Jordanie, puis en 1963, quand Israël aurait pu conquérir la Cisjordanie  et Gaza, ce fut au tour des Etas Unis de s’y opposer ».
Par conséquent, l’historien propose de remplacer  « occupation » par « retour », et d’expliquer : « Retour à une terre que  les hébreux sionistes considèrent comme la leur ». Cela explique  pourquoi l’offre faite durant le sommet de Camp David en 2000 par le  Premier Ministre Ehud Barak, de restituer 85% de la Cisjordanie était  une « offre généreuse » car, si pour la majorité du leadership israélien  la Cisjordanie appartient à Israël, comment serait-ce possible d’y  construire un état palestinien ? Pappé estime que la seule solution que  les Israéliens pourraient accepter est « une présence » palestinienne  sous contrôle israélien. Pour Israël, un véritable état palestinien est  inconcevable.
Processus sans paix
Outre les termes cités plus haut, il convient d’éliminer  du vocabulaire du conflit « processus de paix » car, d’après Chomsky,  la partie la plus importante de cette locution n’est pas « paix » mais  « processus ». Ce dernier peut s’étendre à l’infini. Israël a imposé à  la politique internationale l’idée qu’il existe d’autres conflits plus  importants que le conflit israélo-palestinien, ce qui pourrait être  vrai. Ainsi, il propose une sorte de « solution n+1 » offrant à chaque  fois aux Palestiniens un brin d’espoir et, en même temps, lui dictant la  politique : avec quel dirigeant parler, quel parti élire et quel  processus de paix établir.
Pour illustrer le diktat israélien, Pappé raconte une  anecdote. Durant les accords d’Oslo, tout comme à Camp David, les  Israéliens avaient rédigé chaque détail : de quelle implantation  échanger jusqu’à quelle capitale donner aux Palestiniens. Dix jours  avant la tenue de Camp David, un des leaders palestiniens m’appela pour  me demander le programme qu’ils auraient dû apporter à la rencontre avec  Barak et Clinton [Président des USA].
C’était absurde. Qu’avaient-ils préparé pendant toutes  ces années ? Cela démontre que les Palestiniens n’ont pas de rôle :  Israël apportait les idées et les Etats Unis et l’Union européenne  devaient imposer ce que Israël avait décidé. Par voie de conséquence, le  soulèvement populaire qui s’en est suivi, en l’occurrence la Seconde  Intifada, était fort évident.
Changement de régime
Le quatrième point abordé par Pappé, et auquel il  s’attache, concerne un mot qui décrit l’avenir. D’après l’historien, il  faut cesser de parler de « solution » puisqu’elle  « suppose un accord  entre deux parties, alors que dans le cas présent, il y a une partie qui  impose, et une seconde qui subit. Israël possède une attitude  didactique envers les Palestiniens, du type ‘si vous n’acceptez pas  maintenant, la prochaine proposition sera pire. Et donc, aucune solution  n’est possible’ ».
Toutefois, Pappé demeure optimiste car selon lui le  conflit ne s’éternisera pas. Il estime que la situation nécessite un  changement de régime, à l’instar de l’expérience en Iraq ou en  Afghanistan, sans recourir, cependant à la force, aux bombes ou à  l’intervention de l’OTAN. « Il n’y avait aucune raison d’accepter ce qui  s’est passé en Afrique du sud, alors pourquoi accepter ce qui se passe  en Israël ? Les deux pays sont différents, mais leur point commun est le  traitement réservé aux autochtones ».
Ilan Pappé a été le premier israélien hébreu à proposer  ce que nombreux considèrent comme une solution utopique et insensée :  l’Etat unique. Il souligne que « la solution à deux Etats ne fera  qu’empirer les idéologies de toutes les parties. Israël ne permettrait  pas la mise en place d’une armée palestinienne, d’une économie et d’une  souveraineté. D’autre part, et même s’il y avait deux Etats,  qu’adviendrait-il des Palestiniens qui habitent Israël ? S’ils sont  estimés aujourd’hui, à 20%, demain ils atteindront 35 ou 40%. Pour  conserver une majorité hébraïque, Israël se divisera-t-il à l’infini ? »
C’est ainsi que Pappé considère que la solution pour un  Etat unique est plus éthique et pratique. L’historien insiste sur la  nécessité de se libérer des idéologies. Il reconnait avoir plus  d’affinité avec un ami palestinien qu’avec un hébreu de Brooklyn qui  aurait le droit de « retourner ».  Ceci étant, et pour parvenir à une  possibilité de changement de régime, Israël devrait traiter les hébreux  et les Palestiniens sur le même pied d’égalité.
Dans ce contexte, le changement de perspective de la  société israélienne n’est pas le seul moyen pour parvenir à la solution.  « La campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (Bds) est à  présent l’outil le plus efficace car il arrive à certains moments qu’on  ait besoin d’un « coup sur la tête » de l’extérieur pour voir comment se  présentent réellement les choses ».
Pour arriver à prendre des positions aussi critique  vis-à-vis de l’Etat juif et surmonter « l’endoctrinement dans lequel il a  grandi, surtout enseigné par l’armée », Ilan Pappé n’a pas reçu  uniquement un  « coup sur la tête », mais de nombreux petits coups. Et  « le prix est très élevé. Tu cesses de parler avec ton père, ta mère,  tes frères, et même avec toi-même. » Ou perdre son emploi. A  l’université de Haïfa, où il était professeur, son point de vue  anti-sionistes lui a fait le vide autour de lui jusqu’à ce que qu’il  soit de fait expulsé. Il enseigne à présent à l’Université d’Exeter en  Grande-Bretagne. Mais il reste ferme sur ses positions, sûr que la seule  véritable solution est « la fin de la ségrégation. Il est ridicule que  Juifs et Palestiniens ne puissent cohabiter. »
                14 avril 2010 - Resistenze - Vous pouvez consulter cet  article à : 
http://www.resistenze.org/sito/te/c...
Traduction de l’italien : Niha
http://www.resistenze.org/sito/te/c...
Traduction de l’italien : Niha