entretien avec Stéphane Hessel
Ambassadeur de France, Stéphane Hessel [1] , présent sur tous les fronts de la lutte pour le respect du droit international, notamment dans le conflit israélo-palestinien, répond à Jeune Afrique
Jeune Afrique : Quelles sont vos dernières initiatives pour faire avancer le règlement du conflit israélo-palestinien ?
Stéphane Hessel : Nous avons créé un tribunal Russell sur la Palestine, en référence à Bertrand Russell, grand humaniste britannique qui, dans les années 1970, avait donné son nom à un tribunal d’opinion publique sur le Vietnam. Trente ans plus tard, nous pensons que ce même tribunal pourrait indiquer dans des sessions d’experts quelles sont les violations insupportables commises non seulement par Israël, mais aussi par l’Union européenne (UE), les États-Unis et les multinationales. Ce tribunal a tenu sa première session à Barcelone, en mars. Nous espérons qu’elle aura un rayonnement international et que l’opinion publique comprendra notre lutte pour la paix. La seconde session est prévue à Londres dans le courant de l’année 2010 et aura pour thème les fournisseurs d’armes. Rappelons qu’il est interdit de vendre des armes à un pays en guerre. Mais dans le cas d’Israël, la liste des violations internationales est impressionnante !
Vous êtes-vous rendu en Palestine récemment ?
Au cours des trois dernières années, à l’invitation de mes amis israéliens, qui font partie d’une minorité courageuse, nous y sommes allés, ma femme et moi, par trois fois. Nous avons constaté que la Cisjordanie est complètement ingérable parce qu’elle est occupée, colonisée. Les routes ne sont pas autorisées pour les Palestiniens. Ces derniers sont traités avec un mépris épouvantable par Israël. Quant à la bande de Gaza, elle a été enfermée dans ce que l’on peut appeler une « prison à ciel ouvert ». L’opération « Plomb durci », de décembre 2008 à janvier 2009, a été une succession de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La manière dont l’armée israélienne s’est comportée est absolument scandaleuse. Nous étions à Gaza en même temps que l’équipe dirigée par le juge Goldstone, et je peux témoigner que tout ce que relève le rapport Goldstone est exact.
Israël a décidé de passer outre les recommandations de ce rapport.
Goldstone a accusé Israël de crimes de guerre et lui a demandé de présenter sa défense. En même temps, le rapport a été adressé au Conseil des droits de l’homme à Genève, qui l’avait initialement commandé. Ce conseil, par une majorité très nette, l’a approuvé et envoyé pour examen à l’Assemblée générale, à New York. Mais au sein de ce même conseil, les Européens se sont abstenus, et les États-Unis se sont opposés à son examen. Le rapport ne deviendra contraignant que s’il est approuvé par le Conseil de sécurité. Or les États-Unis opposeront forcément leur veto à toute sanction contre Israël.
Le rapport est également sévère avec le Hamas…
Il convient de rester ouvert à l’égard du Hamas et de dialoguer avec lui. Le Hamas est une force politique qui fait partie intégrante des territoires palestiniens. On ne saurait décider de l’avenir de la Palestine sans lui. Je comprends les réticences israéliennes à traiter avec le Hamas tant qu’il n’a pas clairement indiqué qu’il respecterait la sécurité d’Israël. Mais le plus important, c’est de prendre contact avec le Hamas quelles que soient les réserves concernant ses ultimes intentions.
Comment se fait-il qu’Israël continue à agir en toute impunité ?
Le gouvernement d’Israël bénéficie en effet d’une impunité scandaleuse, alors que depuis des années il bafoue le droit international et rejette les résolutions de l’ONU, ne respecte pas la Convention de Genève. À cela, trois raisons. D’abord, Israël a réussi à faire la paix avec l’Égypte et la Jordanie. Du coup, l’appui des pays arabes aux Palestiniens a été moins efficace. Ensuite, ces derniers se sont gravement affaiblis par leurs divisions internes. Enfin, l’UE et les États-Unis considèrent Israël comme leur allié dans la région et le défendent, même quand il fait des choses répréhensibles.
Votre engagement est-il relayé en Israël ?
Tout à fait. Je connais des Israéliens, tels que Michel Warschawski, Gideon Levy, journaliste à Haaretz, et d’autres encore, comme Jeff Halper, directeur d’une organisation pour la reconstruction des maisons palestiniennes démolies, qui font partie de la minorité courageuse luttant contre le gouvernement israélien actuel.
Quid de la politique française ?
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy et la nomination de Bernard Kouchner aux Affaires étrangères, la France s’est alignée sur l’UE, qui elle-même s’est alignée sur les États-Unis. C’est un recul par rapport à l’amitié franco-palestinienne.
Que pensez-vous de l’idée, relayée par Kouchner, d’une proclamation unilatérale de l’État palestinien avant les négociations sur les frontières ?
Disons que c’est un point très délicat. Je suis, sur le principe, d’accord avec Kouchner : il faut encourager les Palestiniens à proclamer leur État. Néanmoins, est-ce qu’il faut le faire tout de suite ? Je ne peux pas vraiment répondre, car il faudrait savoir exactement si Mahmoud Abbas a déjà un projet suffisamment solide à proposer.
Quels sont les éléments qui, selon vous, pourraient augurer d’une évolution favorable de la situation ?
Barack Obama d’abord s’est prononcé clairement pour la création de deux États avec Jérusalem pour capitale. Par ailleurs, les Palestiniens peuvent se réconcilier et acquérir ainsi plus de force. Il peut y avoir une évolution très favorable si demain nous assistons à des libérations de prisonniers en Israël, parmi lesquels figurerait éventuellement Marwane Barghouti. Et le Parlement européen pourrait prendre une position plus ferme. Enfin, le gouvernement de Tel-Aviv n’est pas très solide. Il a contre lui le parti Kadima, qui n’attend que l’occasion de le renverser, et avec lui le pénible ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, qui n’est pas très populaire.
Comment avez-vous vécu la création d’Israël ?
Dès la fin de la guerre, je me suis retrouvé à New York comme fonctionnaire à l’ONU. J’ai assisté simultanément à deux événements importants : la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme et la création de l’État d’Israël. Pour quelqu’un comme moi, né de père juif et qui sortait des camps de concentration, cette création était de l’ordre du merveilleux. Je n’étais pas conscient du fait que cet État ne pouvait exister qu’en chassant un nombre considérable de Palestiniens de leurs terres.
Quand avez-vous compris ce qui se passait ?
Pendant vingt ans, j’ai continué à considérer favorablement le développement d’Israël : j’étais admiratif des kibboutz et des moshav. Tout a changé en 1967 avec la guerre des Six Jours. Cette guerre, gagnée par Israël pratiquement en une matinée, a donné aux gouvernants de l’époque ce que j’appelle une hubris, un sentiment de supériorité extraordinaire, qui les a amenés à ne plus tenir compte du droit international. C’est à partir de 1967 que je me suis engagé dans le camp de ceux qui voulaient un retrait des forces israéliennes et la création d’un État palestinien.
Propos recueillis par Claire Gallien
[1] Coauteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce grand témoin du XXe siècle, ardent militant de la paix et de la non-violence, a mis tout le poids de son autorité morale au service d’une cause : le droit des Palestiniens à disposer d’un État viable.
Ambassadeur de France, Stéphane Hessel, 93 ans, a toute sa vie défendu l’application du droit international. Né à Berlin à la fin de la Première Guerre mondiale d’un père juif et d’une mère protestante, il quitte l’Allemagne en 1924 et répond à l’appel du général de Gaulle en 1941. Arrêté puis déporté, il réchappe des camps de concentration et, au sortir de la guerre, rejoint l’ONU en tant que chef de cabinet d’Henri Laugier, alors secrétaire général adjoint de l’organisation. C’est là qu’il participe, en 1948, à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Depuis, il est présent sur tous les fronts de la lutte pour le respect du droit international, notamment dans le conflit israélo-palestinien.
publié par Jeune Afrique