Pierre Stambul
Une pétition intitulée Jcall initiée par  plusieurs personnalités européennes qui se revendiquent juives a obtenu  de nombreuses signatures. Face à la politique du gouvernement Nétanyahou  et au soutien inconditionnel dont il bénéficie de la part  d’associations comme le CRIF, l’appel se veut être une alternative pour  une paix « raisonnable ».
Quelle  est la réalité de cette guerre ?
Celles et ceux qui défendent les droits du peuple  palestinien expliquent inlassablement que la politique israélienne  vis-à-vis des PalestinienNEs est criminelle. Il y a le crime fondateur,  l’expulsion de la majorité des PalestinienNEs de leur propre pays en  1948 (puisque, paraît-il c’était une terre sans peuple), la confiscation  des terres, les villages rasés, l’interdiction faite aux réfugiés de  rentrer chez eux. Il y a les crimes qui ont suivi : les guerres, les  assassinats dits ciblés, l’occupation, les discriminations inscrites  dans la loi, les colonies, la construction du mur, les check-points, les  emprisonnements massifs …Les signataires veulent défendre l’Etat  d’Israël qualifié de démocratique. Mais les 50% de PalestinienNEs qui  vivent entre Méditerranée et Jourdain ne connaissent aucune démocratie.  Ils ont le « choix » entre le blocus impitoyable de Gaza, l’occupation  et la colonisation en Cisjordanie, les destructions de maison et les  expulsions à Jérusalem Est ou la sous-citoyenneté dans l’Israël d’avant  1967.
En prônant une paix « raisonnable », les signataires  renvoient en apparence sur un pied d’égalité les « extrémistes des deux  camps » comme si l’occupant et l’occupé vivaient des situations  symétriques. Ils reprennent à leur compte le complexe de Massada. Ils  évoquent la menace pour les IsraélienNEs de devenir minoritaires face  aux PalestinienNEs. Pour eux, le point central, c’est la sécurité  d’Israël. Comme si celles et ceux qui vivent l’insécurité quotidienne et  qui ont été jetéEs (*) à la mer n’étaient pas les PalestinienNEs. La  pétition parle à peine de la Palestine, comme si cette guerre était une  affaire intérieure juive. Peut-on faire une paix « raisonnable » en  ignorant « l’autre » à ce point ? Un point de départ intéressant mais bien limité.
Ce qui différencie les signataires de la pétition de J  Call des supporters de Nétanyahou, c’est que les premiers ont enfin  réalisé que la politique israélienne est suicidaire pour celles et ceux  qu’Israël prétend défendre. Effectivement, il est tout à fait improbable  que le peuple palestinien soit écrasé à terme (comme l’ont été les  peuples indigènes d’Amérique du Nord et d’Australie) et donc incapable  de réclamer ses droits. Personne ne peut sérieusement penser qu’une  politique basée sur la domination, la violence et l’humiliation puisse  être éternelle.
Ce qui les différencie aussi, c’est qu’ils réalisent que  la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) initiée par la  société civile palestinienne et reprise dans le monde par des  associations, des syndicats ou des Etats commence à écorner sérieusement  l’image d’Israël et à provoquer son isolement.
Pas de remake d’Oslo
En 1988, l’OLP a fait une concession incroyablement  généreuse : accepter de limiter le futur Etat palestinien à 22% de la  Palestine historique. Les accords d’Oslo qui ont suivi ont été dès le  départ un marché de dupes : on a parlé de la sécurité d’Israël mais  jamais de la réalité : l’occupation, les colonies, les discriminations,  l’inégalité. Entre la signature des accords et l’assassinat de Rabin,  60000 nouveaux colons ont été installés. L’Autorité Palestinienne n’a  jamais été considérée comme l’embryon d’un futur état. Elle avait pour  mandat essentiel de « faire la police ». Les signataires de l’appel  Jcall doivent comprendre que recommencer un tel processus n’a  strictement aucun sens. Être raisonnable, ce sera aborder les questions  essentielles, ce sera régler la question fondamentale des 500000  Israéliens installés en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Puisque le texte  propose une solution sur la base de deux Etats, comment peut-il être  silencieux sur la question des frontières ? Pourquoi ne dit-il pas par  exemple que les IsraélienNEs installéEs dans les territoires conquis en  1967 devront partir ou accepter la citoyenneté palestinienne ?
Et les signataires de Jcall peuvent-ils expliquer  pourquoi Oslo a échoué alors que les PalestinienNEs ont été les seuls à  faire des concessions ? Sont-ils capables de comprendre tout ce qui  n’est pas abordé dans leur texte : la question du sionisme qui ne donne  aucune place aux Palestiniens, la question de la manipulation des  histoires et des identités juives, l’incapacité pour la société  israélienne d’accepter l’égalité ?
Gauche/droite
L’appel Jcall voudrait incarner dans le monde juif  européen un courant de gauche, humaniste. C’est très important, il faut  se référer aux droits fondamentaux. Pourtant dans l’histoire d’Israël,  celles et ceux qui disent incarner la gauche ont participé à tous les  mauvais coups contre la Palestine : Ben Gourion est au pouvoir en 1948  quand le pays est nettoyé ethniquement et que les biens des réfugiés  sont confisqués. La gauche travailliste est au pouvoir lors de la guerre  de 1967 et c’est elle qui décide de coloniser. C’est un ministre  travailliste (Ben Eliezer) qui décide la construction du Mur qui balafre  la Cisjordanie. Les travaillistes Peretz et Barak ont joué un rôle  important dans la guerre contre le Liban ou le massacre de Gaza.  Plusieurs signataires de l’appel Jcall ont d’ailleurs approuvé ces deux  guerres.
Bien sûr, il est fondamental qu’à l’intérieur d’Israël  il y ait une « rupture du front intérieur » et les Juifs du reste du  monde ont un rôle important à jouer. Encore faut-il qu’il s’agisse d’une  rupture. Il existe en Israël une courageuse minorité qui se bat pour  l’égalité des droits et contre l’occupation. Mais la gauche et la droite  sionistes sont d’accord sur l’essentiel et partagent les mêmes valeurs.  D’ailleurs les gouvernements d’Union Nationale se multiplient. Barak  gouverne avec Lieberman et Pérès avec Nétanyahou. Peut-on penser qu’une  solution « raisonnable » n’aborde pas cette question ? Ne remette pas en  cause la base idéologique de cette guerre ? Les paix en Algérie, au  Viêt-Nam, en Afrique du Sud ont été rendues possible par un important  virage idéologique. Les signataires de Jcall pensent-ils qu’une paix  « raisonnable » est possible sans une remise en cause des fondements  même de l’idéologie qui a conduit Israël de guerres en guerres ? Ces  signataires se disent attachés à un Etat juif et démocratique. Ne  croient-ils pas, comme l’a écrit Shlomo Sand, qu’il s’agit d’une  contradiction totale et qu’un Etat juif est totalement contraire au  droit international qui ne différencie pas les citoyens selon leurs  origines ?
Boycott et image
L’initiative Jcall intervient alors que le gouvernement  israélien se moque ouvertement de ses désaccords avec Obama et continue  d’être soutenu avec parfois de vagues critiques par l’Union Européenne.  Mais l’image d’Israël est ternie. Les opinions publiques bougent. Le BDS  remporte des succès. Les signataires de l’appel Jcall critiquent  Nétanyahou, pas par désaccord avec la violence et l’occupation, mais  parce que cette politique met en danger Israël et qu’ils veulent sauver  ce pays.
Il faut aller plus loin. À l’image de l’universitaire  israélien Névé Gordon qui a dit être pour le boycott « parce que c’est  la seule façon de sauver mon pays ».
À partir de leurs préoccupations et de leurs peurs, les  signataires doivent se poser les questions fondamentales. En tant que  Juifs, ils seront obligés de revenir sur le processus qui a transformé  des descendants de parias en bourreaux d’un peuple. Ce n’est pas une  fêlure dont la paix a besoin ou une relégétimation d’Israël mais une  vraie rupture.
La paix passe par le droit international, par les droits  fondamentaux, par l’égalité des droits. Il n’y aura pas de paix sans  remettre en cause le colonialisme, l’occupation, l’apartheid. Il n’y  aura pas de paix en ignorant les Palestiniens.
Encore un effort camarades !
(*) Dans son film « la Mécanique de l’Orange », Eyal  Sivan montre comment la population de Jaffa a été jetée à la mer en  1948.
publié par l’UJFP