Luc Delval
          L’organisation d’une manifestation de rue dont on ne choisit ni  la date, puisque c’est l’assemblée des actionnaires de DEXIA qui décide  de l’agenda (en l’occurence un pluvieux mercredi de printemps en pleine  journée, à la veille d’un "week-end" de quatre jours) ni le lieu  (déplacé tardivement à la "demande" de la police), n’est pas une  sinécure. Pas non plus un pari facile et gagné d’avance.         
 Une autre vidéo sur cette action ICI
En modifiant, pour des raisons d’ordre public bien  entendu, le lieu de départ de la manifestation (initialement prévu rue  Neuve, en plein centre commercial), la police en a évidemment aussi  modifié le trajet, de sorte que les manifestants, de la gare centrale au  siège de Dexia (Bd Pacheco) ont défilé sous les fenêtres de la Banque  nationale et face au fantôme à l’abandon de la "Cité administrative de  l’Etat"... un quartier désert et sans vie...
La manifestation, il faut en convenir, si elle n’a pas  été un échec n’a donc pas non plus été un énorme succès, même si pour ce  qui concerne la Plate-forme Charleroi-Palestine  nous pouvons nous réjouir de l’arrivée récente de jeunes et dynamiques  militants qui "en veulent" et dont plusieurs étaient présents pour  brandir très haut la banderole que nous avons fait confectionner il y a  quelques jours et qui nous a assuré une visibilité certaine.
     Devant le siège de Dexia,  boulevard Pacheco.
Grâce à la "Plate-forme Dexia", il y avait aussi une  bonne vingtaine "d’infiltrés" au sein même de l’assemblée des  actionnaires de DEXIA, dans l’auditorium auquel on accède par le  "Passage 44" (boulevard du Jardin Botanique, axe stratégique sur lequel  il n’est évidemment pas question de manifester sans paralyser une bonne  partie de la ville).
L’univers feutré des actionnaires
Une assemblée d’actionnaires constitue, pour presque  tous ces "infiltrés", un univers totalement étranger, et à bien des  égards étrange. Il faut bien dire aussi que, dans une entreprise  bancaire comme Dexia, c’est un rituel qui, pour être imposé par la loi,  n’a pas énormément de sens, dans la mesure où la répartition du capital   assure un actionnariat stable et où les "petits porteurs", qu’ils  soient des investisseurs "sérieux" ou des trublions comme nos  "infiltrés" pro-palestiniens - ne sont que des moucherons insignifiants.
Il y a en effet actuellement 1,76 milliard d’actions  DEXIA en circulation (1), et la plupart des "infiltrés" (dont le but  n’était évidemment pas d’apporter leurs économies à DEXIA, dont ils  dénoncent les agissements) en détenaient... une.
Ces assemblées constituent des cérémonies au cours  desquelles les dirigeants de la banque viennent théoriquement rendre des  comptes aux actionnaires, grands et petits. Les "grands", bien entendu,  n’ont pas attendu ce rendez-vous annuel pour s’informer, ils sont  associés à la gestion et leur vote est acquis d’avance.
Quant aux "petits", pour la plupart ils ne sont pas là.  La salle où se déroule l’assemblée ne contient pas plus de monde que le  cortège des manifestants à l’extérieur.
L’assistance est massivement masculine, avec une forte  proportion de quinquagénaires (au moins) au crâne dégarni.  Plus d’un,  c’est un classique dans toutes les assemblées des sociétés cotées en  Bourse, n’est là que pour passer le temps et se faire offrir à boire et  de quoi grignoter, champagne tiède et petits fours... Quelques uns  posent des questions sur des détails, tentent de prendre en défaut le  réviseur ou s’indignent de l’énormité des "bonus" accordés à  l’administrateur-délégué français, Pierre Mariani, qui en plus de ses  1.000.000 € de salaire annuel percevra un total de 800.000 € de bonus  pour l’année 2009 (2).
Au début de l’assemblée, dans un cadre feutré et  high-tech à la fois, Jean-Luc Dehaene, président du C.A. (3), puis Pierre Mariani, lisent leur rapport sur  la marche des affaires de Dexia, les options stratégiques, la  compression des coûts, les négociations avec la Commission européenne et  les Etats (France, Belgique, G-D de Luxembourg), le redressement des  bénéfices,... En résumé, ils sont contents, les affaires reprennent...
A noter que le groupe Dexia (4) a pris l’engagement vis-à-vis de la Commission  Européenne, de réduire fortement sa taille et de "sortir des territoires  et des activités non stratégiques". D’où il peut se déduire que,  puisqu’il n’est pas jusqu’à présent question que Dexia quitte Israël, ce  territoire est considéré comme "stratégique", quoique Dexia-Israël  représente très très peu de choses dans le bilan du groupe.
Pendant cet exposé, plusieurs de mes voisins dans la  salle se sont endormis. Le monsieur en costume-trois-pièces bleu strict,  qui somnole à ma gauche avec "Gazet van Antwerpen"  sur les genoux, grogne de temps en temps, remet machinalement en place  ses lunettes qui glissent obstinément vers le bout de son nez, et se  rendort... Pendant que Mariani parle, Dehaene lui-même, semble tenté de  piquer du nez un bref instant. Un trop copieux déjeuner avant  l’assemblée, peut-être ?
Question time : DEXIA exercerait  des représailles contre des communes opposées à sa complicité avec la colonisation
Vient le moment où les actionnaires peuvent poser des  questions. En fait, la plupart des questions, comme le prévoit la  procédure, ont été transmises depuis au moins huit jours par écrit au  Président du C.A., Jean-Luc Dehaene.
D’emblée, Dehaene se dit "étonné" d’avoir reçu "beaucoup  de courrier" d’actionnaires à propos de l’activité de Dexia en Israël,  car - dit-il - "il n’y a rien de nouveau". Il réaffirme tout d’abord que  Dexia-Israël "agit aussi bien au bénéfice des municipalités  israéliennes que des municipalités arabes", et précise que celles-ci  "s’en félicitent". On relève quand même qu’alors que si la population  arabe et la population juive israélienne représentent grosso-modo  chacune 50% de la population de la "Palestine historique", ce que J-L  Dehaene appelle "les municipalités" arabes ne bénéficieraient que de  moins de 10% des prêts accordés par Dexia-Israël. Pas vraiment de quoi  se présenter comme des promoteurs de l’égalité entre les deux  populations, donc...
Le président de Dexia poursuit en rappelant que la  direction du groupe a "clairement dit depuis septembre 2008, et même en  fait depuis juin 2008, qu’aucun nouvel engagement de crédit n’est  consenti par rapport aux colonies" israéliennes. "En  ce qui concerne les engagements pris dans le passé, il n’est pas  commercialement possible d’y mettre fin, et donc nous respectons les  engagements pris mais il y a déjà une forte réduction de l’en-cours des  prêts : de juin 2008 à ce jour la réduction est de 41%".
J-L Dehaene confirme qu’il n’y "plus aucun engagement  nouveau, et qu’on est donc dans une stratégie d’extinction progressive".
Ces propos relativement lénifiants ne convainquent  guère.
Le bourgmestre de Viroinval, M. Bruno Buchet, le  premier, prend la parole et fait état des informations reçues par la  "Plate-forme Palestine occupée -  Dexia impliquée" avec l’aide de  l’organisation israélienne "Who profits" selon lesquelles Dexia-Israël a  encore accordé au moins un prêt, en mai 2009, à une colonie juive.
Réponse de Dehaene : "si vous avez des informations  précises, et des preuves, il faut nous les transmettre, ce sera examiné  ".
Le bourgmestre de Viroinval - dont la commune, comme une  trentaine d’autres à ce jour, a adopté une motion contre la complicité  de DEXIA avec la colonisation de la Palestine - s’interroge alors à  haute voix sur des mesures de rétorsion que DEXIA semble avoir prises.  En effet, dit-il, des associations de sa commune qui se sont adressées à  DEXIA pour obtenir un sponsoring culturel ou sportif ne l’ont pas  obtenu, et un responsable du service sponsoring leur a indiqué que ce  refus s’expliquait par "l’attitude de la commune vis-à-vis des colonies  juives".
Dehaene : "les dépenses de sponsoring ont été très  fortement réduites dans le cadre de la politique de compression des  dépenses, et le lien que vous établissez avec l’attitude des communes à  propos de l’action de Dexia en Israël ne correspond pas à une politique"  de Dexia. Evidemment, il n’y a pas de preuve écrite...
Après M. Buchet, plusieurs actionnaires - nos  "infiltrés" - se succèdent au micro, tantôt en français, tantôt en  néerlandais. Ils reviennent, inlassablement, sur le mensonge apparent :  le financement des colonies n’a pas cessé puisque non seulement les  contrats anciens se poursuivent, mais on a trouvé la trace d’au moins un  prêt postérieur à l’assemblée des actionnaires de l’an passé. "Des  représentants de l’organisation Who Profits sont  présents à Bruxelles, vous pouvez les rencontrer", insistent-ils.
Dehaene : "si le prêt dont vous parlez existe, ce n’est  pas conforme aux instructions qui ont été données et je n’en suis pas  informé". Mais il ne semble pas outre mesure désireux de rencontre les  gens de Who Profits... "Ils sont là, on peut les  faire entrer si vous voulez", propose un de nos "infiltrés". "Seulement  s’ils sont actionnaires", rétorque Dehaene, avec son style inimitable.
Philippe Pourbaix, un des animateurs de la "Plate-forme  Dexia" revient encore à la charge, fournit plus de détail sur le fameux  prêt, d’un montant de 1,4 million d’Euros, accuse Dehaene de mentir aux  actionnaires et d’avoir "une attitude suicidaire sur le plan de la  réputation de la banque". Le président s’énerve un peu, sautille sur son  siège, enlève ses lunettes, se passe la main sur les yeux, remet ses  lunettes. Il bout. "Fournissez-nous tous les éléments dont vous  disposez, nous les examinerons et s’il y a lieu les mesures qui  s’imposent seront prises", dit-il pour tenter de couper court.
"Votre attitude sape la confiance des actionnaires, et  des clients de la banque, notamment les communes, qui attachent de  l’importance aux critères éthiques", insiste le représentant d’une  commune flamande. Pour la Xième fois Dehaene répète : Dexia-Israël est  dans un "uitdoofscenario" (5), un scénario d’extinction progressive des  financements des colonies.
Mais  d’autres essaient encore de le "cuisiner" un peu à  propos de Jérusalem-Est, car il a déclaré il y a un an que "c’est un  autre problème" que la Cisjordanie, alors qu’aux yeux du monde entier  (et de l’ONU et aussi du droit international) c’est bel et bien un  territoire palestinien colonisé.
Dehaene s’énerve,  s’embrouille devient confus : d’une  part il affirme que "pour autant qu’[il] sache"  l’arrêt des prêts de Dexia-Israël "c’est  Jérusalem-Est compris", puis se reprend, commence une phrase  dans laquelle il semble dire que "Jérusalem-Est  n’existe pas"... La phrase reste suspendue, inachevée,  incompréhensible.  En fait, il y a tout lieu de croire que Dexia-Israël  se conforme à la position du gouvernement, pour qui Jérusalem  "réunifiée" est "la capitale indivisible et éternelle d’Israël". C’est  en ce sens que "Jérusalem-Est n’existe pas" : il n’y a qu’une seule  Jérusalem, et ils considèrent qu’elle est à eux... Point final.
La (longue) partie de l’assemblée consacrée à  Dexia-Israël s’achève, non sans une dernière question, une sorte de  "private joke" : une jeune actionnaire prend la parole, se présente  comme "une amie d’Israël ", se dit "extrêmement choquée par les  questions hostiles à Israël qui viennent d’être posées". Une émotion  sincère et palpable l’étreint, elle demande à Dehaene ... ce qu’il  compte faire en faveur de la traditionnelle amitié belgo-israélienne.
C’est bien essayé, mais ce vieux routier de Dehaene ne  saisit pas la perche que vient de lui tendre malicieusement cette  charmante sioniste de choc... qui en fait n’est autre qu’une militante  pro-palestinienne très active, une des "inflitrées" : "Ici je suis un  banquier, je ne fais pas de politique", dit-il. Tu parles !
Allez Jean-Luc, on se revoit l’an prochain et on sera  encore mieux préparés. La pression ne se relâchera pas. T’as pas fini de t’énerver.
Notes
1) La Caisse de dépôts et consignations (France) en  détient 17,61%, le "Holding communal" (les communes belges) 14,51 %, le  Groupe Arco 14,25%. Ces trois actionnaires contrôlent donc plus de 46%  du capital. A cela s’ajoutent les participations de la "Société de Prise  de participation de l’Etat" (SPPE - les régions belges) et de la  "Société fédérale de participation et d’investissement" (SPF), qui se  partagent 11,4% du capital, Ethias (5 %) et l’Etat français (5%). Plus  de 60% du capital sont donc entre des mains "sûres"... et aucune  surprise grave n’est à craindre lors des assemblées générales. Les  actionnaires classés comme "autres institutionnels et individuels" ne  représentent donc qu’un peu plus du quart du capital.
2) montant réparti sur les années 2010 à 2012,  sous  condition que Dexia soit en état de ne plus avoir recours à la garantie  des Etats au-delà de juin 2010, ce qui sera très probablement le cas.
3) qui a perçu, au titre de l’exercice 2009, 88.000 € de  "jetons de présence". Le rapport signale qu’il a participé à 91% des  réunions du Conseil d’administration...
4) dont les éléments principaux sont "Dexia Crédit  Local" (France), "Dexia Banque Belgique", "Dexia Banque Internationale à  Luxembourg" et "Deniz Bank" (Turquie).
5) en néerlandais dans le texte - "uitdoofscenario" est  aussi l’expression utilisée à propos des "facilités linguistiques"  accordées aux francophones dans certaines communes de la périphérie  bruxelloise, dont certains hommes politiques flamands veulent la  suppression progressive.