Christophe Ayad
          Pour les Palestiniens, il ne s’est rien passé en 1948, en tout  cas, rien de mal. C’est ce que veut faire croire le ministère israélien  de l’Education, qui a décidé d’exclure le mot nakba des manuels  scolaires en arabe destinés aux Palestiniens d’Israël.         
           La nakba, au sens littéral, c’est la catastrophe. Pour  tous les Palestiniens, ce mot résume l’expulsion de leurs villages et de  leurs villes lors de la guerre qui a immédiatement suivi la déclaration  d’indépendance unilatérale d’Israël, en mai 1948. Ironiquement,  « catastrophe » est aussi le mot utilisé par les Juifs pour désigner la  Shoah, le génocide de six millions d’entre eux durant la Seconde Guerre  mondiale.
Ultranationaliste. Cette  décision sur les manuels scolaires, soutenue par le Premier ministre,  Benyamin Nétanyahou, fait partie d’une loi en cours d’examen à la  Knesset, le Parlement israélien. L’initiative en revient à Avigdor  Lieberman, leader du parti ultranationaliste Israël Beitenou (Israël  notre maison) et ministre des Affaires étrangères. Sa formation, qui  recrute essentiellement dans les milieux laïcs russophones, est un  pilier de la coalition de droite dure au pouvoir. A l’origine, le projet  de loi visait à interdire toute commémoration de la nakba, le jour de  la fête nationale d’Israël ; il prévoyait même une peine allant jusqu’à  trois ans de prison. Lieberman, qui est obsédé par le péril  démographique posé par les Arabes israéliens et milite pour leur  « transfert », en clair, leur expulsion. Il a aussi l’intention de leur  demander de prêter un serment de loyauté à l’Etat hébreu.
Ces mesures ne peuvent qu’être vécues comme une  provocation et une incitation à la discrimination par les 1,7 million de  Palestiniens citoyens d’Israël qui forment 20 % de la population du  pays. Ils jouissent théoriquement des mêmes droits - dont celui de vote  et d’être élus - que les citoyens juifs d’Israël, mais font l’objet de  tout un ensemble de mesures discriminatoires non écrites. Dispensés du  service militaire, ils ne peuvent souvent pas accéder aux emplois  publics, ni obtenir des permis de construire aussi facilement que les  Juifs.
Suspects. Souvent  soupçonnés d’être une cinquième colonne par les Juifs, ils sont suspects  aux yeux des Palestiniens des territoires et des réfugiés en raison de  leur niveau de vie supérieur et de leur nationalité israélienne.  Comment, en effet, expliquer qu’ils soient restés, malgré la guerre et  l’occupation ?
La nakba est au cœur de l’affrontement  israélo-palestinien. Pour les Juifs, les Arabes ont quitté leurs terres  et leurs maisons à l’appel des pays arabes voisins qui s’apprêtaient, en  1948, à envahir le jeune Etat d’Israël. Les Palestiniens estiment, pour  leur part, avoir été victimes d’un nettoyage ethnique en règle. Comme  l’ont montré les nouveaux historiens israéliens (Benny Morris, Ilan  Pappé, Avi Shlaïm, Tom Segev), l’exode des Palestiniens a été le plus  souvent le résultat de violences et d’une savante guerre psychologique.
                29 mars 2010 - Libération - Source : http://www.liberation.fr/monde/0101...