Nehemia  Shtrasler - Ha’aretz
          "Je suis Hanna Weiss, originaire d’Italie, n° A5377. Je suis  sortie vivante d’Auschwitz. J’ai le sentiment d’avoir triomphé. J’ai une  vie riche et pleine. Chaque jour de ma vie est un jour de vacances".         
 Cette déclaration d’une survivante de la Shoa a résumé la semaine la  plus importante du calendrier juif-israélien, la semaine qui s’écoule  entre la commémoration de l’Holocauste et celle des soldats israéliens  tombés au front. La semaine qui incarne la révolution sioniste : de  l’Holocauste à la Résurrection.
Il est évident que ce ne sont pas les six millions de  victimes de la Shoa qui ont créé l’Etat d’Israël, mais elles ont été  pour Israël une sorte de gilet pare-balles pendant toutes ces années.  Les milliers de personnes qui ont payé l’indépendance de leur vie,  celles que nous allons commémorer la semaine prochaine, devraient être  ajoutées à ces six millions.
Les six millions de victimes ont été la cause de la  Partition de la Palestine votée par l’ONU en novembre 1947. Sans elles,  la majorité nécessaire n’aurait pas été atteinte. C’est seulement le  lourd sentiment de culpabilité des nations du monde, qui n’avaient rien  fait pour arrêter la mise en oeuvre de la soit-disant "solution finale",  qui a fait pencher la balance. Le 30 novembre 1947, Ha’aretz  a publié un éditorial spécial en première page : "Les  nations du monde ont décidé de réparer 2 000 ans d’injustice.... les  aspirations d’un peuple qui a connu la souffrance et subi un holocauste  vont enfin se réaliser".
Sans cette culpabilité, les Tchécoslovaques ne nous  auraient pas fourni d’armes pendant la guerre d’indépendance, les  Allemands ne nous auraient pas soutenu en toutes circonstances, et les  Américains ne nous auraient pas donné d’argent, ni d’avions, année après  année. Il est donc juste de relier le Jour de l’Holocauste avec le Jour  du souvenir (des soldats - NdT). Ils sont tous les deux le socle du  Jour de l’Indépendance.
Le monde se sent coupable parce que le meurtre des juifs  d’Europe a été un fait unique dans les annales de l’humanité.  L’histoire ne manque pas d’atrocités, mais une liquidation planifiée à  l’avance et réalisée en suivant un programme élaboré dans le but de  détruire une nation entière, cela n’avait encore jamais été fait.
Les pays occidentaux se sentent aussi coupables parce  qu’ils n’ont pas ouvert leurs portes aux réfugiés en provenance  d’Allemagne et d’Autriche avant la second guerre mondiale. Ils ne sont  pas non plus intervenus en 1942 alors qu’ils étaient déjà au courant du  processus d’extermination en cours. Ils n’ont pas bombardé une seule  fois les voies de chemin de fer qui menaient aux fours crématoires et  aux chambres à gaz ni les camps de la mort eux-mêmes, bien que qu’il y  ait eu des milliers de raids aériens et que des milliers de bombes  soient tombées près d’Auschwitz pendant que la machine de mort nazi  tuait et brulait les corps de 12 000 juifs pas jour.
La cruelle vérité est que tout le monde s’en fichait.  Des centaines d’années de propagande antijuive, de persécutions, de  pogroms et d’expulsions avaient solidifié la haine.
La conclusion doit dont être sans appel : dans ce monde  cruel et cynique, nous devons continuer de renforcer les forces armées  israéliennes, indépendamment de nos buts politiques. Le monde doit le  savoir : jamais plus. Jamais plus le sang juif ne sera répandu  impunément. Ni ici en Israël, ni nulle part au monde.
Qui plus est, même dans un monde cynique et cruel, on  doit reconnaître la marque du Mal. C’est le Mal qui a assassiné six  millions de juifs et mis toute l’Europe en feu (les Soviétiques à  eux-seuls ont sacrifié 27 millions de personnes dans la guerre contre  L’Allemagne). Et le Mal continue à sévir.
Mais renforcer l’armée ne dépend pas de nous seuls. Cela  dépend aussi du statut de notre pays, qui, à son tour, dépend des  nations du monde et de l’opinion publique. Soixante-cinq ans après que  les horreurs de l’holocauste soient révélées, de plus en plus de voix en  Europe s’élèvent pour dire à Israël : Ca suffit ! La culpabilité a ses  limites aussi. A partir de maintenant nous allons vous traiter comme un  pays ordinaire. Vous serez jugés sur vos actes pour le meilleur et pour  le pire.
Et en effet, les dernières nouvelles montrent que le  nombre d’incidents antisémites a augmenté significativement en 2009.  C’est une nouvelle forme d’antisémitisme qui combine l’ancienne haine  avec une forte opposition à l’occupation. En d’autres mots, le temps  travaille contre nous. Le soutien à Israël et à ses forces armées ne  peut plus être considéré comme acquis. La culpabilité s’atténue  graduellement, et rend possible le développement de la critique globale  de l’occupation des territoires palestiniens. Et comme en Occident ce  sont les opinions publiques qui déterminent en dernier ressort la  politique des gouvernements, Israël doit arriver à un accord pour sortir  des territoires occupés et redevenir un pays moral et juste.
Parce que le gilet pare-balle que constitue l’Holocauste  ne sera pas toujours là. Nous le voyons se craqueler et il ne pourra  plus nous protèger longtemps.
Nehemia Shtrasler est journaliste à Ha’aretz