Par Ali Abunimah
                          Ali Abunimah est co-fondateur de The Electronic  Intifada et auteur de One Country: A Bold Proposal to End the  Israeli-Palestinian Impasse. (Un pays : une proposition  audacieuse pour mettre fin à l’impasse du conflit israélo-palestinien) 
Lors du sommet de septembre dernier à New-York  avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le leader du  Fatah Mahmoud Abbas, le Président Barack Obama a publiquement renoncé à  exiger qu’Israël mette un terme à la construction de colonies en  Cisjordanie occupée comme préalable à la reprise des négociations sous  médiation états-uniennes. Obama a ainsi signé, de façon humiliante, la  débâcle de son action pour la paix lancée à grand renfort de publicité.                         
Mahmoud Abbas écoute le vice-président US Joe Biden lors d’une  conférence de presse à Ramallah le mercredi 10 mars. (MaanImages)
 Depuis, l’envoyé d’Obama, George Mitchell, fait la navette à la  recherche d’une formule qui sauve la face et donne l’impression qu’il y a  toujours un “processus de paix” qui aboutira, un jour, à une solution à  Deux Etats.
 Après des mois d’acharnement, les Etats-Unis ont réussi à matraquer et à  cajoler Abbas et certains Etats arabes “modérés” pour qu’ils  soutiennent des “pourparlers indirects” entre Israël et Abbas, alors  même qu’Israël accélère son épuration ethnique de Jérusalem, sa  colonisation de a Cisjordanie, son blocus de Gaza et ses rounds  quotidiens de meurtres et d’enlèvements de Palestiniens dans tous les  territoires occupés. Et même cette maigre réalisation a semblé remise en  doute après que le gouvernement Netanyahu ait impudemment annoncé la  construction de 1.600 logements exclusivement juifs supplémentaires  pendant une visite en Israël du vice-président des Etats-Unis Joe Biden.
 Il ne fait aucun doute que l’administration Obama s’obstinera dans la  mascarade de négociations, quelles qu’elles soient. L’alternative serait  de jouer réellement sur les subsides massifs américains qu’Israël  reçoit pour mater sa conduite de voyou. Mais Obama, avant et après son  entrée en fonction, n’a jamais montré la moindre envie de le faire (en  dépit de l’inflation d’attentes naïves dans le monde arabe et à  l’intérieur de l’industrie du processus de paix), et il ne le fera pas  maintenant que son Parti Démocrate vulnérable va aux élections de  mi-mandat sans pratiquement aucune réalisation à présenter aux  électeurs.
 Au milieu de cette lamentable situation, arrive un nouveau document de  Saeb Erekat, proche conseiller d’Abbas et "négociateur en chef" pour  l’Autorité palestinienne (AP) de Ramallah soutenue par les Etats-Unis.
 Le document de plus de 7.000 mots, produit par le Département des  négociations de l’Organisation de Libération de la Palestine (Negotiations  Affairs Department of the Palestine Liberation Organization - NAD-PLO)  est maladroitement intitulé « La situation politique à la lumière  des développements avec l’administration des Etats-Unis et le  gouvernement israélien et le coup d’Etat continu du Hamas :  recommandations et options. » (le NAD-PLO est en fait administré par  l’Institut Adam Smith, "le groupe de réflexion britannique de pointe  adepte du marché libre" et entièrement financé par les  gouvernements occidentaux).
 Daté de décembre 2009, le dossier a fait l’objet d’articles dans  plusieurs journaux israéliens à la mi-février, et il a été communiqué  aux diplomates européens et autres comme un avertissement que les  Palestiniens avaient d’autres options que la poursuite de négociations  futiles. Ils pouvaient, par exemple, abandonner la solution à Deux Etats  et appeler à un seul Etat, avertit-il. Cependant, une lecture attentive  révèle une image différente.
 Le document est d’une écriture très pauvre, répétitive et parfois à  peine cohérente. Un passage est ainsi libellé : « Les documents  d’accréditation ne peuvent pas être présentés à l’administration des  Etats-Unis et aux autres sans le document palestinien. Ces questions  portent un lien significatif avec la prise de contrôle par la force de  la Bande de Gaza, qui ne peut pas être interprétée sauf par une  compréhension précise des développements régionaux et comment présenter  les documents d’accréditation. » Et il y a beaucoup d’autres  passages du même charabia et de ce langage apparemment dénué de sens –  tous ces gouvernements devraient se demander à quoi sert leur argent !
 Néanmoins, une préoccupation clé se dégage : Erekat est très inquiet que  les Etats-Unis fassent pression sur Abbas pour reprendre les  négociations de zéro, au lieu de les reprendre au point où elles  s’étaient terminées en décembre 2008 avec le précédent gouvernement  israélien dirigé par Ehud Olmert. Le document fait cette demande précise  pas moins de 15 fois, mettant en garde contre le fait que ne pas  reprendre à ce point-là rendrait les Palestiniens vulnérables à la «  vision de Netanyahu », ce qui signifierait que les Palestiniens « seraient  obligés d’accepter les positions israéliennes, » en particulier son  refus de négocier sur Jérusalem, « ainsi que reconnaître Israël  comme un Etat juif. » Le document avertit que « le dossier des  réfugiés sera exclu des négociations et que les Palestiniens devraient  accepter qu’Israël garde le contrôle sur les passages frontaliers  palestiniens et l’espace aérien. »
 Seul un départ au point atteint en décembre 2008, semble-t-il, pourrait  conjurer un tel désastre ! Mais en fait, le document expose en détail ce  qui a soi-disant été agréé en décembre 2008 et il est clair que sur  toutes les questions importantes, la direction d’Abbas s’est déjà plié  aux demandes d’Israël, en principe et en pratique.
 Abbas a offert (et Israël a refusé) que seuls 15.000 réfugiés par an  reviennent sur les terres dont ils ont été ethniquement nettoyés dans ce  qui est maintenant Israël, pendant une période de dix ans. Ceci annule  de fait le droit au retour, et agit comme une reconnaissance de fait du «  droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif » en concédant que  son exclusion raciste des Palestiniens non-juifs l’emporte sur le droit  humain des réfugiés à revenir chez eux.
 De plus, le document d’Erekat ne fait aucune mention du « droit au  retour » – une exigence consensuelle fondamentale des Palestiniens dans  le pays et en diaspora – mais fait vaguement référence à une « solution  juste et agréée en accord avec la Résolution 194 de l’Assemblée  générale des Nations Unis. » Il n’exige pas l’application de la  résolution – qui stipule que tout réfugié qui le souhaite soit autorisé à  revenir chez lui « le plus tôt possible. » Inutile de dire que  ce qu’Israël considère « juste » et accepterait est à mille lieux des  droits palestiniens et du droit international. En effet, Olmert avait  offert le retour de 1.000 réfugiés par an pendant cinq ans – soit  environ 1/10è de 1% de tous les réfugiés.
 En ce qui concerne le territoire, le document révèle qu’Abbas a accepté  les exigences israéliennes d’annexer de grands blocs de colonies à  Jérusalem et dans toute la Cisjordanie. Une fois cette concession faite,  toutes les rodomontades sur la « frontière de 1967 » comme ligne sacrée  derrière laquelle Israël doit se retirer devient absurde.
 Tout en ne concédant pas nommément un « Etat démilitarisé », Abbas a  apparemment offert que l’Etat palestinien « souverain » « aurait  le droit de posséder des armes nécessaires pour assumer pleinement ses  responsabilités » mais seulement « en coopération avec [une] tierce  partie. » Ce tiers n’est pas nommé, mais c’est presque certainement  une référence aux Etats-Unis, qui, depuis l’Administration George W.  Bush, arment et entraînent les milices de l’AP sous la supervision du  Lieutenant-Général Keith Dayton, à la chasse aux Palestiniens qui  résistent à l’occupation ; des fonctionnaires américains ont souvent  affirmé que ces milices répressives seraient le noyau des forces armées  du futur Etat palestinien.
 Etant donné que l’objectif des négociations est sans doute d’atteindre  un résultat qui se situe quelque part entre les positions de démarrage  des deux parties, il est terrifiant de penser que ces positions sont les  positions de départ d’Abbas et d’Erekat. Même si Israël devait les  accepter, ce qu’il est clair qu’il ne fera pas dans tout processus sous  négociation US, le résultat final serait un pseudo-Etat palestinien : un  bantoustan. Ce ne serait pas un Etat qui satisfasse les droits  palestiniens, mais qui existerait pour les leur nier, en particulier le  droit au retour.
 L’incohérence de cette approche est encore mieux illustrer par le fait  que le document accuse l’Administration Obama d’avoir d’abord promis à  Abbas que toute négociation repartirait du point de décembre, puis  d’avoir abandonné sa promesse. Pourtant, en dépit de son apparente  trahison sur cette question et du gel de la colonisation, le document  Erekat propose encore que les Palestiniens « exhorte les US(a) à  proposer les principes d’une résolution de toutes les questions  centrales du statut final (frontières, colonies, Jérusalem, réfugiés,  sécurité, eau, prisonniers… » ! 
 Cette dépendance à des promesses américaines jamais tenues rappelle  l’épisode ironique, dans la bande dessinée des Peanuts, où  Charlie Brown court sans arrêt pour donner un coup de pied dans un  ballon que Lucy maintient en place ; chaque fois, Lucy retire la balle à  la dernière seconde et Charlie Brown tombe sur le dos. Et chaque fois,  Charlie Brown croit les nouvelles promesses que la prochaine fois, elle  laissera le ballon en place.
 Le document Erekat donne un aperçu du processus de réflexion d’une «  direction » qui a non seulement perdu toute légitimité, mais n’ose même  pas parler des droits du peuple qu’elle est censée représenter. Elle  tient même ce peuple et ses droits dans un mépris total.
 Tout en appelant à « l’unité nationale », le document continue de  propager la fausse histoire d’un « coup d’Etat » du Hamas à Gaza  (en fait, la direction Abbas, par son chef de guerre Muhammad Dahlan, a  tenté, dès que le Hamas a remporté les élections en 2006, de lancer une  guerre civile pour renverser avec violence le groupe dans le cadre d’un  projet conçu et exécuté en collaboration avec la Secrétaire d’Etat  étatsunienne de l’époque, Condoleezza Rice, et approuvé par le président  Bush – voir David Rose, "The Gaza Bombshell," Vanity  Fair, avril 2008). (1)
 Apparemment conscient du manque total de crédibilité dont jouissent  encore l’Autorité palestinienne de Ramallah et le squelette de l’OLP  sous contrôle d’Abbas, le document Erekat propose une sorte de campagne  de « hasbara » (propagande) de l’AP parmi la diaspora  palestinienne en Europe, aux Amériques et en Asie, « pour confirmer  la représentation unifiée et légitime de l’Organisation de Libération de  la Palestine (OLP) où qu’elle soit. » 
 Menée par le « Département de l’OLP des Affaires des Expatriés »  (comme si les Palestiniens étaient simplement des émigrés, et non des  réfugiés), le « Ministre palestinien des Affaires étrangères » et le  Fatah lui-même, cette stratégie a pour objectif de « protéger la  question de la Palestine des tentatives visant à promouvoir la division,  la séparation et la fragmentation et à trouver une alternative à l’OLP  en manipulant la résistance et la religion. »
 En d’autres termes, l’équipe d’Abbas veut exporter sa guerre civile à la  diaspora. Et nous avons déjà vu le commencement de cette tentative avec  le lancement du « Palestine Network » (Réseau Palestine) contrôlé par  Abbas et destiné à diviser et à coopter des activistes palestiniens  ("USPCN: 'Palestine Network' is a PA Attempt to  Divide the Palestinian People and Surrender their Rights," 20  novembre 2009).
 Bien entendu, le document Erekat ne propose ni une revitalisation et une  démocratisation réelles de l’OLP, ni une implication réelle des  Palestiniens, dont les voix ont été confisquées depuis si longtemps par  la clique d’Oslo corrompue et répressive. Il ne reconnaît ni ne  mentionne la campagne grandissante entreprise par la société civile de  boycott, désinvestissement et sanctions (qui fait plus peur à Israël que  les aboiements d’Erekat), et ne mentionne la solution à Un Etat qu’en  passant, sans reconnaître le travail sérieux qui a été fait pour  développer et diffuser cette idée.
 Ce n’est pas surprenant. Reconnaître un de ces faits reviendrait à  admettre que la fiction de négociations sous couvert des Etats-Unis est  finie, que ceux qui y ont pris part et en ont tiré des bénéfices depuis  si longtemps ont déjà fait tout le mal qu’ils pouvaient au peuple  palestinien et à leurs droits, et qu’ils doivent quitter la scène.
Télécharger le rapport NAD-PLO (PDF, en anglais)
(1) Lire l’article de Julien Salingue du 11 mai 2008 : « Comment les Etats-Unis ont organisé une tentative de putsch contre le Hamas ».
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13578&type=analyse&lesujet=Collabos