Nabil Ennasri
Oumma
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          L’origine du conflit est avant tout le fait d’une occupation et  d’un processus colonial... Il faut dire et répéter que la question des  lieux saints musulmans de Palestine s’inscrit dans une démarche de  protection des libertés fondamentales et du respect des conventions  internationales.         
           En août dernier, nous avions publié dans les colonnes d’oumma.com un article qui tirait la sonnette d’alarme  au sujet des dangers qui guettent la mosquée Al Aqsa (1). Aujourd’hui, la situation des  Lieux saints musulmans en Palestine est encore plus grave. Les dernières  provocations du gouvernement israélien à leur égard confirment la  politique agressive de “judaïsation“ entreprise depuis plusieurs années  par les autorités israéliennes. Cette tension au sujet des Lieux saints  (et particulièrement de l’esplanade des mosquées et de son cœur, la  mosquée Al Aqsa) arrive dans un contexte de crise qui présage de  lendemains orageux. 
Des provocations en cascade
Car ce gouvernement largement dominé par l’extrême  droite religieuse (3) applique méthodiquement une politique qui, non  seulement tourne le dos à la paix, mais met en place toutes les  conditions pour la reprise d’une confrontation. Composé d’ultras, sa  stratégie est simple et cynique : réduire à néant toute idée d’Etat  palestinien, faire le « grand Israël » et forcer les Palestiniens à  signer une paix de la soumission (4). Les derniers évènements le prouvent : ce  cabinet a fait de l’intransigeance et de l’arrogance ses principales  caractéristiques et l’obstination de M. Netanyahou à soutenir  l’extension des colonies, malgré la désapprobation unanime des capitales  occidentales (5), en est la dernière illustration. La vraie  question est aujourd’hui celle de savoir jusqu’où les Israéliens iront  dans cette fuite en avant outrancière et que se cache derrière cette  stratégie de la terreur. Car les dirigeants israéliens ne se contentent  pas seulement de brutaliser la population palestinienne ; ils ne ratent  jamais une occasion de menacer ouvertement l’Iran d’une attaque  militaire préventive (6) qui, si elle est déclenchée, suscitera un  véritable apocalypse.
Des lieux saints en danger
En fait, les décisions prises ces dernières semaines  révèlent au grand jour la véritable nature du gouvernement israélien,  lui-même reflet de l’état de l’opinion israélienne qui s’est radicalisée  au fil des dernières années. La récente décision (que M. Netanyahou  savait foncièrement provocante pour les Palestiniens) d’ajouter les deux  lieux saints de Cisjordanie à la liste des sites enregistrés au  patrimoine archéologique d’Israël a été prise suite aux pressions du  parti juif ultra-orthodoxe Shass. C’est le président du même parti  Shass, Eli Yishaï, également ministre de l’Intérieur qui a annoncé, en  pleine visite du vice-président américain, la construction de 1 600  nouveaux logements dans la colonie ultra-orthodoxe Ramat Shlomo, située  dans un secteur à majorité arabe de Jérusalem-Est. Au même moment, le  journal Ha’aretz dévoilait le plan de la mairie de  Jérusalem qui prévoirait de bâtir 50 000 nouveaux logements dans le  secteur oriental de la Ville sainte (7). Le cabinet israélien ne pouvait ignorer que  ces concessions répétées à l’extrême droite religieuse ne pouvaient  qu’embraser la situation et éloigner encore davantage le retour aux  « négociations indirectes », sapant ainsi les efforts américains en vue  d’une reprise, même timide, des pourparlers de paix.
On comprend, dans ces conditions, l’exaspération et la  colère de l’opinion palestinienne. Depuis plusieurs semaines, pas un  jour ne passe sans qu’éclate ici ou là des affrontements avec la police  ou l’armée israélienne faisant craindre l’émergence d’une nouvelle  Intifada. La tension est à son comble notamment au sujet de la mosquée  Al Aqsa. Lundi 15 mars 2010, une nouvelle synagogue, située à quelques  dizaines de mètres de la mosquée, était inauguré en grande pompe. Cette  synagogue, dite de la Hourva - appellation que les Palestiniens  traduisent par le terme arabe Al Kharab, lui-même signifiant démolition,  terme qui en dit long sur la portée d’un tel édifice - a mis le feu aux  poudres (8). Les colons présents à son inauguration n’ont  jamais caché leur sombre projet de détruire la mosquée Al Aqsa. En  effet, tout un courant juif fanatique - soutenu en cela par la mouvance  des protestants évangélistes américains - prône depuis de nombreuses  années la destruction du troisième lieu saint de l’islam pour construire  à sa place le Temple de Salomon (9) et la nouvelle synagogue serait, selon ces  derniers, le prélude à son édification.
Alors, ce qui devait arriver se produisit : la journée  de mardi 16 mars a été marquée par de violents affrontements dans de  nombreux quartiers de Jérusalem et ailleurs en Cisjordanie tandis que le  Hamas à Gaza appelait à une journée de la colère. Toutes les chaînes de  télévision arabe ont ainsi retransmis ces images de centaines  d’adolescents affrontant à coups de pierres des soldats israéliens  surarmés. Tout porte à croire que les prochaines semaines seront  marquées par une recrudescence des affrontements. Après maintes  provocations et dans un pays où une partie de la classe politique (tout  comme certains organes de presse) revendiquent ouvertement un droit à la  haine (10), on a presque envie de dire que cette  dégradation de la situation était dans la nature des choses. C’est  certainement ce que cherchait à susciter la politique machiavélique - et  à terme suicidaire - du gouvernement israélien.
Dans ce contexte, les dernières annonces du Premier  ministre israélien ne font qu’accentuer la politique de “judaïsation“  des lieux saints musulmans. De tout le monde arabe et musulman des  appels sont lancés et les initiatives se multiplient pour protéger le  patrimoine culturel et religieux de la vieille ville. L’émotion à  l’égard de la mosquée grandit à mesure que s’accroissent les menaces qui  pèsent sur elle. Le problème est que cette mobilisation peine à faire  effet. A part quelques courageuses institutions, organisations  non-gouvernementales ou autres leaders religieux, tout le monde se  cantonne (Ligue arabe et Autorité palestinienne en tête) à des  déclarations de principe où l’on se limite à exprimer sa préoccupation.
Une mobilisation urgente, massive  et plurielle
Au vu de l’évolution dramatique de la situation, l’heure  doit être à la mobilisation pour les musulmans du monde,  particulièrement pour ceux d’Occident. En effet, à l’inverse de leurs  coreligionnaires du monde arabe et musulman - qui vivent pour la plupart  sous des régimes autoritaires dont les politiques servent, à bien des  égards, les intérêts d’Israël - ils bénéficient d’un cadre leur  permettant de s’engager pleinement pour dénoncer ces dérives  scandaleuses. Il leur incombe de faire savoir ce qui se passe là-bas  pour mieux agir ici, de mettre leur citoyenneté au service de la  promotion du droit et d’user de tous les moyens pacifiques pour  condamner avec force ce nouvel Apartheid qui, outre ses violations  répétées au droit international, porte gravement atteinte aux libertés  fondamentales de culte et de religion.
Toutefois, l’émotion considérable que soulève la  question de la mosquée Al Aqsa dans le monde musulman peut être  salutaire mais elle pourrait dangereusement déplacer le conflit. En  effet, cet émoi légitime de la part de nombreux musulmans du monde  pourrait entraîner comme effet pervers l’émergence croissante de la  dimension religieuse du conflit aux dépens de sa dimension territoriale  et politique. Or, ce glissement serait fortement préjudiciable pour deux  raisons au moins : d’abord parce que l’origine du conflit est avant  tout le fait d’une occupation et d’un processus colonial. Jérusalem-Est,  tout comme les autres territoires palestiniens, est illégalement  occupée et colonisée par Israël depuis 1967.
De très nombreuses résolutions internationales  l’attestent comme le rappelle aujourd’hui l’administration Obama et  l’ensemble des pays du monde. Ensuite, car la réduction du conflit à une  querelle entre religions est à la fois simplificateur, dangereux et  préjudiciable au mouvement de solidarité avec la Palestine. C’est tout  l’intérêt de l’obscure politique de M. Netanyahou de renforcer la  dimension religieuse du conflit et d’en faire l’axe principal. Il ne  faudrait pas tomber dans ce piège et il faut dire et répéter que la  question des lieux saints musulmans de Palestine s’inscrit dans une  démarche de protection des libertés fondamentales et du respect des  conventions internationales.
Bien au contraire, il faut et faudra continuellement  tisser des liens avec toutes celles et ceux qui partagent une vision  commune de la justice, du respect du droit et ouvrent pour une égalité  de traitement (11). C’est ce cadre qui permettra aux Palestiniens  de continuer à jouir d’une large sympathie dans le monde entier et  d’entrevoir le bout du tunnel. Les ponts qui existent déjà sur ces  questions avec les partenaires non-musulmans sont à consolider, de même  que les passerelles avec les tenants d’autres traditions. C’est déjà le  cas avec la communauté chrétienne de Palestine qui, dans un document  récent, a courageusement pris position pour l’arrêt de l’occupation et  la dénonciation des crimes israéliens (12). La question des lieux saints musulmans de  Palestine ne doit donc pas être uniquement défendue par les musulmans et  ce, pour une raison simple : elle est le symbole du traitement indigne  et inique exercé par la puissance occupante israélienne. 
Notes :
[1] "La mosquée Al Aqsa est en danger !", 12 août 2009.
[2] Il s’agit du Caveau  des Patriarches à Hébron et de la mosquée Bilel Ibn Rabah à Bethléem. Le  premier lieu est également appelé Mosquée Al Khalil qui veut dire “ami  intime“. Dans la tradition islamique, c’est par cette dénomination que  l’on surnomme le Prophète Abraham. C’est dans cette mosquée que le 24  février 1994 un colon extrémiste du nom de Baruch Goldstein avait  assassiné 29 fidèles palestiniens pendant la prière. Sa tombe fait  aujourd’hui l’objet d’un pèlerinage.
[3] "Israël : le poids politique exorbitant des religieux",  11 mars 2010.
[4] Voir sur ce sujet  l’entretien avec Sari Nusseibeih dans lequel ce doyen de l’Université Al  Qods (et auteur en 2002 d’un plan de paix cosigné avec Ami Ayalon,  ex-chef du service secret intérieur israélien, Shin Bet) affirmait qu’  « un Etat palestinien est devenu impossible ». Cf. Le Figaro, 4 janvier  2010.
[5] "Malgré les critiques,  Netanyahou soutien l’extension des colonies", Le Monde,  15 mars 2010.
[6] "Israël-Iran : compte-à rebours avant la guerre",  27 février 2010
[7] "La mairie de  Jérusalem envisagerait de bâtir 50 000 logements à Jérusalem-Est", Le Monde, 11 mars 2010.
[8] Al Jazeera.
[9] Ibid, "La mosquée Al Aqsa est en danger !", 12 Août 2009.
[10] Cf. Courrier  International - Hors série, février, mars, avril 2009.
[11] C’est d’ailleurs ces  principes de justice et de droit qui donne au mouvement de solidarité  avec la Palestine son caractère pluriel et transversal dans lequel de  nombreux juifs s’engagent de manière courageuse. Voir à ce sujet les  sites de l’UJFP. En  outre, l’auteur de ces lignes a pu participer aux mobilisations de la Gaza Freedom March de décembre 2009 en manifestant au  Caire devant l’ambassade israélienne aux côtés de rabbins juifs. Une  pancarte résumait à elle seule cette dynamique : « Jews  with Gaza ».
[12] La Croix. 
 Nabil Ennasri : diplômé de l’Institut  d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, est actuellement étudiant en  théologie musulmane à l’Institut européen des sciences humaines de  Château-Chinon. Il a séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar,  Emirats Arabes Unis). Son mémoire  Le champ  politico-religieux du Qatar : une vision estudiantine obtenu en vue  de la validation du Master II (Recherche) « Politique Comparée » à été  rédigé sous la direction du professeur François Burgat. Il est également  membre du Collectif des Musulmans de France.
Son blog : http://nabil-ennasri.over-blog.com/