Marianne Blume
          Une mobilisation véritablement internationale a été bloquée par  le gouvernement égyptien. Mais elle a réussi à attirer l’attention de  l’opinion publique mondiale sur le blocus douloureusement vécu par les  habitants de Gaza.         
Photo extraite du site :  http://www.Countercurrents.org
La Gaza Freedom March, lancée par  une organisation de femmes américaines (Code Pink), a  aussitôt rencontré un écho en Europe. L’ABP (Association  belgo-palestinienne) avait ainsi décidé de mettre sur pied et d’envoyer  une délégation belge. Et, rapidement, une soixantaine de personnes se  sont inscrites, venant de tous horizons. Des francophones et des  néerlandophones. Plus des Luxembourgeois. Des militants avérés et de  simples citoyens justement indignés par la situation faite aux  Palestiniens. Des membres de l’ABP et, en bien plus grand nombre, des  non membres. Des jeunes et des moins jeunes. Tous unis autour des  objectifs de la marche : demander la levée immédiate du blocus de Gaza  et témoigner leur solidarité avec le peuple palestinien. Tous décidés à  agir et payant de leurs deniers leur voyage et leur séjour. Consentant  aussi à zapper le sacro-saint Nouvel An !.
Le projet était de passer par l’Égypte pour rentrer dans  la Bande de Gaza par Rafah et de manifester avec les Palestiniens dans  une marche qui irait vers Erez (checkpoint géant entre Gaza et Israël).  Nous savions que, de l’autre côté, des Israéliens (juifs et  palestiniens) et des internationaux marcheraient aussi vers Erez,  montrant ainsi leur volonté commune de voir Gaza ouvert.
Au Caire
Après plusieurs réunions et une journée de préparation,  la délégation s’est rendue au Caire, chacun prenant son vol. Jusqu’à  quelques jours avant la date de la marche, nous étions optimistes même  si nous savions que la partie ne serait pas facile. C’est alors que les  autorités égyptiennes ont annoncé officiellement que la marche n’irait  pas jusque Gaza, que le rassemblement de tous les participants (1.343 au  total, venant de tous les coins du monde) était interdit, de même que  tout rassemblement de plus de 6 personnes !
Malgré ces entraves, la grosse majorité des inscrits  sont parvenus au Caire. Les bus, réservés depuis des mois, restaient au  garage, interdits de sortie par le gouvernement égyptien. Mais les  Français de l’AFPS et les membres de notre délégation ont décidé de  tenter quand même le passage. Aidés par une organisation égyptienne,  nous avons trouvé des bus et, avec des Écossais et des Grecs, le 28  novembre 2009, nous avions l’espoir d’arriver au moins à Rafah. A  Ismaïlia, nos bus ont été bloqués par la police. Interdiction d’aller  plus loin. Nous avons résisté trois heures tout comme les passagers des  quatre autres bus bloqués, eux, bien auparavant. Retour au Caire donc,  sous bonne escorte. Au Caire, où devait se dérouler une conférence de  presse. Aussitôt empêchée par la police. Coup de chapeau aux conducteurs  pris à partie par les divers services de sécurité et restant zen en  attendant notre décision.
Une nouvelle stratégie s’imposait donc en coordination  avec le comité organisateur. Dans des conditions difficiles : les hôtels  pullulaient de membres des services de sécurité qui contrôlaient les  entrées et les sorties, cherchaient à savoir ce que nous allions faire,  etc. Par ailleurs, le comité organisateur ne connaissant pas tous les  participants, répartis dans différents hôtels, la coordination était de  fait aléatoire. Néanmoins, des actions ont été organisées par groupes ou  collectivement, sans toutefois réussir à réunir les quelques 1.300  participants. Nous avons manifesté avec les juristes et les journalistes  égyptiens, nous avons fait une veillée aux bougies près de la mosquée  Al Husseini, nous avons participé à la belle manifestation  internationale qui remplaça la marche le 31 décembre, certains ont  manifesté devant l’ambassade d’Israël tandis que d’autres allaient à la  représentation européenne ; une délégation est allée à l’ambassade de  Belgique (où elle a été entendue debout et a essuyé une fin de  non-recevoir), une autre a rencontré Nabil Shahat et l’ambassadeur  palestinien en Égypte. Enfin, nous avons participé au meeting final à la  Place de la Libération. Toujours étroitement surveillés par la police,  la sécurité et l’armée bien sûr.
Et Gaza ?
Nous ne sommes pas arrivés à Gaza donc. Mais était-ce  vraiment l’objectif central ? Finalement, les conditions imposées par  les autorités égyptiennes nous ont obligés à agir en Egypte et on a sans  doute davantage parlé de la Gaza Freedom March et  de Gaza que si nous y étions entrés. Par ailleurs, à Gaza, les gens ont  reçu notre message. Certains sms étaient éloquents sur ce point : « Moi  et tout mon peuple, nous vous saluons et vous remercions pour vos  efforts. On compte toujours sur l’humanité d’êtres humains comme vous,  pas sur la honte des gouvernements. Tout cela sera inscrit comme des  pages noires de l’Histoire des Arabes. »
Quant à l’Égypte, elle a été aussi secouée par notre  action puisqu’elle a enfin annoncé publiquement la construction du mur  d’acier à la frontière avec Gaza. Et les journaux officiels ont fait  écho aux manifestations, publiant notamment à la une la photo éminemment  symbolique d’un immense drapeau palestinien brandi sur les pyramides  par des jeunes d’Euro-Palestine. Par ailleurs, la Gaza Freedom March a impulsé un  mouvement international concerté de lutte pour Gaza et pour toute la  Palestine. Ce qui redonne espoir.
Personnellement
Quant à moi, ce qui me restera de mon retour raté à  Gaza, c’est d’abord la cohésion de notre groupe. Il n’allait pas de soi  de parvenir à vivre et agir dans un groupe aussi hétérogène et pourtant,  nous y sommes arrivés. Nous avons pu exprimer chacun notre point de  vue. Nous avons été libres de participer ou non aux différentes  manifestations, sans pressions d’aucune sorte. Nous sommes restés unis  autour de l’objectif « Gaza », malgré nos divergences sur les moyens  d’actions, malgré les conflits internes inévitables.  Ce qui restera surtout gravé dans ma mémoire, ce sont les yeux de ces  jeunes soldats arrachés de leur campagne et utilisés par un régime  policier dans une politique qui opprime, avant tout, les Égyptiens.
Le véritable enjeu
Mes amis de Gaza insistent pour que nos actions  n’isolent pas Gaza du reste de la Palestine. Ils craignent d’être mis  hors jeu et attirent notre attention sur le piège qui nous est tendu :  faire de Gaza un problème en soi. Gaza est un morceau de la Palestine.  Le but n’est pas de libérer Gaza mais bien de libérer toute la  Palestine.
Marianne Blume
* Marianne Blume a été  coopérante belge à Gaza pendant dix ans. Elle enseignait le français à  l’université Al Azhar.
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8401