Jaffa,  l’une des plus anciennes villes du monde, était aussi l’une des villes  les plus prospères et les plus peuplées de Palestine. Avec ses  orangeraies déployées à perte de vue, elle fournissait du travail,  depuis la cueillette du fruit jusqu’à sa préparation pour l’exportation,  non seulement aux Palestiniens mais à des ouvriers venus d’Egypte, de  Syrie, du Liban.
En 1948, plus de 4 000 bombes tombent sur Jaffa. Sur les  85 000 Arabes qui y vivaient, il ne va plus en rester que 3 000. Le  gouvernement israélien confisque les orangeraies et s’approprie l’orange  de Jaffa, qui est devenue le symbole des produits de la colonisation.
On y voit d’abord, dans les années 1920, Arabes et Juifs travailler  ensemble dans une relation qui a été extirpée des deux mémoires. Les  Juifs ne possédaient alors que 7 ou 8 % des terres et les paysans  palestiniens, qui transmettaient leur savoir-faire, étaient loin  d’imaginer que dans le sillage de leurs élèves viendraient leurs  colonisateurs.
La rupture est intervenue avec l’arrivée des kibboutzim : « Pour  eux, nous étions des traîtres », indique un agriculteur israélien  qui se souvient : « Ils voulaient imposer le travail juif. Mais  l’idéal était une chose, la réalité une autre : Ils pelaient au  soleil. » Leur peau claire et leur incapacité à travailler la terre  ne les empêcheront pas de persister. La colonisation sera méthodique et  rigoureuse, donnée à voir avec documents et images d’avant 1948 en  abondance.
Le début de la photographie remonte à 1839 et Khalil Khaed est le  premier photographe palestinien à avoir immortalisé les Palestiniens  dans les champs d’agrumes et leur relation charnelle à la terre. Puis  les Israéliens vont effacer la présence arabe et imposer leurs propres  représentations. « On s’est d’abord approprié l’image et après la  terre », précise une historienne israélienne : « Les Juifs  veulent donner une vision européenne de la Palestine : l’Orient vu de  l’Occident. » Avec la peinture aussi, les colons se veulent dans la  continuation de l’orientalisme. Ils se travestissent en celui qu’ils  viennent remplacer. Le discours de la « terre arabe mal exploitée et peu  fertile » se met en place. La propagande sioniste a recours à une  iconographie très organisée et contrôle totalement les images produites  pour échafauder le mythe d’une terre à l’abandon où ils viennent  introduire la modernité. « Le cliché selon lequel la colonisation  apporte le progrès ! », souligne Elias Sanbar. Et qui va se décliner  dans des images de la bonne santé dans le travail, les chants, les  danses, les femmes radieuses, émancipées et en short... C’est le  réalisme socialiste à l’israélienne, le rêve colonial qui produit les  oranges que l’Orient envoie à l’Occident.
L’orange va devenir un symbole de l’idéologie sioniste. « L’Israël  des oranges, c’est un Israël sans Arabes », résume un historien.  Dès 1948, les Israéliens déposeront la marque Jaffa. Près de 5 millions  de caisses par an seront produites jusqu’en 1970. Les investissements en  budgets publicitaires sont considérables : « Jaffa est aux fruits ce  que Coca-Cola est à la boisson. » En devenant une marque, la  « Jaffa » a effacé la ville de Jaffa, absorbée aujourd’hui par Tel-Aviv.
Jaffa, la mécanique de l’orange, un film d’Eyal Sivan, durée : 90 minutes.http://blog.mondediplo.net/2010-03-15-Jaffa-histoire-d-un-symbole
Eyal Sivan, opposant à la politique israélienne, a refusé que le film soit projeté au Forum des images dans le cadre de la campagne internationale de célébration du centenaire de Tel-Aviv (qui bénéficiait du soutien du gouvernement israélien). Le film sera visible en salles en avril 2010 dans les cinémas Utopia (Toulouse, Avignon, Montpellier, Saint-Ouen-l’Aumône) et aux 3 Luxembourg (Paris).Une version de 52 minutes sera également diffusée le 28 mars à 21 h 30 et le 2 avril à 23 h 50 sur France 5.