Une interview d’Amer Makhoul -  Ittijah
          Interview réalisée par le journaliste Alejandro Fierro.         
          Assurée d’une totale impunité, l’armée  israélienne d’occupation ne se sent forte que lorsqu’elle s’en prend à  des enfants et d’une façon générale à des gens sans défense.
Il semble que la situation  spécifique de la communauté palestinienne d’Israël est éclipsée par la  problématique des Territoires Occupés (Gaza et la Cisjordanie)
La perception générale est que notre cause se réduit à  la Cisjordanie et à Gaza, à l’exclusion du reste : les réfugiés, les  Palestiniens de 1948, c’est à dire de nous qui sommes 1,4 million. En  fait, même Israël essaie de déligitimer notre rôle essentiel dans la  cause palestinienne, par le biais de certaines lois comme celles qui  interdisent le droit de commémorer la Nakba (la “catastrophe”, comme les  Palestiniens appellent la guerre de 1948) ou la tentative de nous  imposer un serment de loyauté. Cette délégitimation n’est pas  l’initiative d’un gouvernement en particulier, mais elle émane d’un  consensus social.
Quelle est la situation actuelle de  ces (quasi) 1,5 million de personnes ?
C’est une situation de risques et de périls, malgré tous  les efforts que réalise Israël pour donner une image de pays  démocratique. Après s’être “déconnecté” de Gaza en 2005, Ariel Sharon a  commencé à évoquer le développement de la Galilée et du Néguev où vivent  la plupart des Palestiniens d’Israël. Le “développement” signifie la  confiscation de terres et la construction de colonies juives proches ou à  l’intérieur des communautés palestiniennes. En outre, il y a près de  300.000 réfugiés, des personnes qui ont été expulsées en 1948 de plus de  500 villes et villages. Ce sont des réfugiés sur leur propre terre.  Mais il y a un autre problème : la situation de 100.000 personnes qui  vivent dans des petits villages qui ne sont pas reconnus par les Hébreux  malgré leur existence antérieure à la création d’Israël. La plupart de  ces personnes sont des bédoins. Or il y a un plan pour donner à 59  familles juives des terres du Néguev dont l’étendue dépasse celles  qu’occupent les bédoins. Ainsi se réalise le rêve de Ben Gourion de  judaïser le Néguev aux dépends des Palestiniens. Enfin, nous ne devons  pas oublier les 42.000 habitations palestiniennes sur lesquelles pèse un  ordre de démolition.
Que peut-on faire pour intégrer les  Palestiniens de 1948 dans le conflit palestinien ?
En premier lieu, il faut lutter contre le discours  historique hégémonique en vogue en Israël selon lequel notre cause se  limite à Gaza et à la Cisjordanie et qu’elle est une conséquence de la  guerre de 1967. La réalité est que le conflit commence en 1948 avec la  partition, décrétée par les Nations Unies, et la guerre qui s’ensuit. 1967 n’est qu’une étape du conflit. Dans la chronologie, il faut inclure  le fait que le conflit commence en 1948 et, pour cette raison, la  situation des Palestiniens qui vivent  en Israël, celle des réfugiés, le  droit au retour ou la question de Jérusalem constituent une partie  essentielle dans la résolution du problème, ce qu’Israël ne cesse de  nier, bien évidemment. Cependant le plus gros problème est l’occupation  militaire.
Y a-t-il encore en Israël des  organisations et mouvements avec lesquels vous pouvez travailler ?
Très peu et la collaboration est de plus en plus  marginale. En plus nous n’avons pas l’espoir de les voir modifier  l’opinion des Israéliens. Il y a en ce moment un consensus total en  Israël pour ignorer les droits du peuple palestinien, refuser le retour  des réfugiés ou conserver Jérusalem Est occupé comme leur capitale. Ce  qui peut vraiment faire changer l’attitude des Israéliens, c’est la  résistance palestinienne et surtout la pression internationale. Les  Etats-Unis et l’Union Européenne doivent assumer une fois pour toutes  leurs responsabilités. Israël se sent de plus en plus fort et sait qu’il  n’a de comptes à rendre à personne. Les USA surprotègent Israël et  l’Union Européenne est incapable de tenir ses promesses. Pour cette  raison, les deux sont coupables de ce crime.
Barack Obama peut-il changer  quelque chose ?
La relation entres les Etats-Unis et Israël est plus  forte que le président américain. La question n’est pas de savoir ce que  pense Obama mais ce que pense la société américaine, et les USA n’ont  pas modifié leur perception du Moyen-Orient. Il y a également une  responsabilité des protagonistes arabes face aux Etats-Unis, de la Ligue  Arabe et de l’Autorité Palestinienne.
Et peut-on espérer quelque chose de  la part de l’Union Europénne ?
La dérive vers la droite de l’Europe avec la débacle des  partis socio-démocrates remplit de joie Israël. La social-démocratie  montrait un certain soutien au peuple palestinien. De plus, la posture  de l’Union Européenne est de plus en plus faible face aux États-Unis.  Avant l’instauration de l’U.E., l’Allemagne ou la France avaient une  politique spécifique. L’unification a signifié paradoxalement un  affaiblissement politique de l’Europe. Finalement l’U.E. considère le  Moyen-Orient sous un angle économique et Israël constitue, pour les  entreprises européennes, un bon endroit où elles peuvent investir.
Quelle est relation entre les  Palestiniens de 1948 et ceux des Territoires Occupés ?
Nous sommes un seul peuple, une seule nation. Malgré la  séparation imposée par Israël et malgré les différences dans les  prérogatives de chaque communauté, il y a un très fort sentiment d’unité  et d’appartenance. Un sentiment que les autorités israéliennes essaient  de détruire. Par exemple, plus de mille activistes qui s’opposaient au  siège de Gaza ont été interrogés l’an dernier par la Shabak (service  secret d’Israël) à cause des programmes qu’ils menaient pour  interconnecter les Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie, d’Israël et  de la diaspora. En tant que peuple, nous avons le droit d’établir une  relation entre nous en dépit de la volonté des Juifs d’interdire tout  contact.
Y a-t-il une solution pour que  cesse l’affrontement entre le Fatah et le Hamas ?
C’est un conflit très douloureux mais il faut d’abord  mettre au clair un point : contrairement à ce que les Israéliens  essaient de nous faire croire avec ce prétendu débat Hamas / Abou Mazen  et Abou Mazen / Hamas, les principaux acteurs palestiniens ne sont ni le  Fatah ni le Hamas. Par exemple, les Palestiniens de 1948 sont partisans  de la résistance à l’occupation et sont complètement désabusés vis à  vis du processus de paix. Sur ce point il y a une grande similitude avec  le Hamas. Mais cela signifie-t-il qu’ils soutiennent le Hamas ? Pas  forcément. En ce qui concerne l’affrontement entre le Fatah et le Hamas,  la communauté internationale ne peut pas éluder sa responsabilité car  le principal crime dans toute cette affaire a été de ne pas respecter  les résultats des élections.
Quelle solution les Palestiniens  d’Israël préfèrent-ils ? Deux États ou un seul État ?
Il n’y a pas de consensus sur ce sujet. Je dirais  cependant que la majorité opte pour une solution de deux États, mais moi  je m’incline pour un seul État avec deux groupes nationaux. La solution  de deux États n’est pas viable parce qu’Israël est colonial par nature  et poursuivrait ses pratiques coloniales comme il l’a fait jusqu’ici.  L’option d’un seul État a de moins en moins d’adeptes et en même temps  il y a de plus en plus de personnes qui reconnaissent l’impossibilité de  résoudre tous les aspects du problème dans le cadre de deux États : les  réfugiés ne sont pas une problématique de deux États, les Palestiniens  de 1948 ne le sont pas non plus etc... Quoi qu’il en soit, le plus urgent est peut-être de lutter d’abord  pour  les droits du peuple palestinien et d’étudier ensuite les contours d’un  État qui nous encadrerait.
Un sujet important : la stratégie  de judaïsation de certaines villes comme Nazareth, Acre ou Jérusalem  avec l’expulsion de la population arabe et l’établissement de  communautés juives.
Les plans de judaïsation font partie du stratagème  complexe de colonisation d’Israël, de sa sécurité etc.. Depuis 1948, ils  ont créé des centaines de villages, de villes, de kibboutz, de colonies  mais il ne s’est créé aucune nouvelle communauté palestinienne. La  stratégie est claire et consiste à installer au milieu des populations  arabes les colons qui étaient implantés à Gaza ou dans des écoles  militaires ou religieuses (les “yéshivas”). Nazareth et Acre sont deux  exemples de l’établissement de Juifs au sein des communautés  palestiniennes ou en périphérie pour mettre un frein à ce que la  terminologie hébraïque définit comme “l’invasion palestinienne des  voisinages juifs”.
Quel rôle la religion joue-t-elle  dans ce conflit ?
Ce n’est pas un problème de religion. Les Juifs  ultra-orthodoxes ne sont pas les plus radicaux vis à vis des  Palestiniens. Leur fondement n’est pas le sionisme, mais la Torah. Le  problème, ce sont les sionistes (qu’ils soient laïques ou religieux) et  non la religion juive. Quant à l’islamisme, ce n’est qu’une facette de  la société arabe. Dans la communauté palestinienne d’Israël, on peut  trouver des islamistes, des communistes, des nationalistes, des  démocrates... Cette pluralité est une caractéristique de tous les  Palestiniens et notre plateforme, Ittijah, a des responsabilités vis à  vis de toute la communauté et non d’une seule partie de celle-ci.
Ittijah dénonce constamment le  caractère raciste d’Israël, un État qui se définit comme “la seule  démocratie de la région”.
Le Liban est beaucoup plus démocratique qu’Israël. Même  l’Autorité Palestinienne est plus démocratique qu’Israël malgré le fait  que les élections se déroulent sous occupation militaire. Israël ne peut  se targuer d’être une démocratie. C’est un produit clairement colonial.  Avigdor Lieberman (le Ministre des Affaires Étrangères, leader du parti  ultra-nationaliste et xénophobe Yisrael Beitenou) n’est pas un produit  du racisme mais un produit d’Israël, le fruit de ce qui se vit dans la  rue. Tous les gouvernments d’Israël ont été responsables des guerres,  des lois racistes qu’ils ont approuvées et pas uniquement Lieberman. Si  Shimon Péres, responsible de très graves crimes contre l’humanité reçoit  le Prix Nobel de la Paix, alors il faudrait aussi le donner à Le Pen.  C’est un type de colonialisme très centre-européen. Israël a été créé  comme un État raciste et colonial et son système, raciste et  discriminatoire est plus fort que Netanyahou ou Lieberman.
Ittijah soutient la campagne de  boycott, de désinvestissements et de sanctions contre l’État d’Israël.
C’est une campagne très importante parce qu’elle se base  sur l’idée qu’Israël doit payer un prix pour son attitude et que la  communauté internationale doit assumer ses responsabilités. Et cela est  fondamental. Israël doit payer pour ce qu’il fait. Jusqu’à ce jour,  Israël démolit des immeubles et des infrastructures à Gaza qui ont été  construits avec l’argent de l’Union Européenne et voilà qu’ensuite  l’Europe redonne de l’argent pour reconstruire ce qu’Israël a détruit.
* Amer Makhoul est le  fondateur et actuel directeur de Ittijah,  la plate-forme qui fédère 64 organisations de Palestiniens résidents en  Israël (ceux qu’on appelle “Palestiniens de 1948”). Ittijah oeuvre pour  la reconnaissance de cette communauté comme faisant partie  intégralement de la cause palestinienne et travaille constamment à la  dénonciation de la discrimination à laquelle Israël soumet les  Palestiniens de 1948.
10 février 2010 - En Lucha - Vous pouvez consulter cet  article à : 
http://www.enlucha.org/?q=node/1921Traduction de l’espagnol : Sami Zannad
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8400