Rudolf Bkouche - UJFP/IJAN
          Il n’y a pas de colonisation en Palestine. Le terme  "colonisation" non seulement traduit mal l’anglais "settlement" mais  transforme le sens de ce qui se passe en Palestine.         
 Revenir sur ce terme permet de mieux comprendre la position de  Netanyahou face à Obama, lequel semble n’avoir rien compris aux sources  du conflit.
Quant à ceux qui se contentent de dénoncer le  gouvernement de droite, voire d’extrême droite, de Nétanyahou et  Libermann, s’ils affichent ainsi une bonne conscience à peu de frais,  ils montrent leur incompréhension du conflit et de l’idéologie qui en  est la cause, le sionisme.
La position des sionistes de gauche qui prônent un  retour aux frontières d’avant 1967 et dénoncent la colonisation dans les  territoires conquis en 1967, si elle manque de cohérence historique, a  au moins le mérite d’une certaine cohérence idéologique : comme  l’explique Zeev Sternhell, la guerre d’indépendance marquait "le droit des hommes à être maîtres de leur destin" (1) et la proclamation de l’Etat d’Israël marquait  la victoire de l’idée sioniste. En écrivant ces lignes, Sternhell oublie  ainsi que la question de la maîtrise de leur destin concerne aussi les  Palestiniens, mais c’est la position des sionistes de gauche que de  refuser d’entendre le point de vue des Palestiniens. Ils peuvent alors,  et les adeptes de La Paix Maintenant s’y  complaisent, dénoncer les méchants colons qui s’opposent à la paix,  occultant ainsi le fait que la colonisation participe de la politique  israélienne, et que cette politique a été mise en place dès 1967 alors  que les travaillistes, c’est-à-dire la gauche israélienne, étaient au  pouvoir.
On réduit ainsi le conflit à l’occupation qui a suivi la  guerre de 1967 et on évite de répondre aux colons qui posent la  question : "En quoi s’installer à Hébron serait-il plus  illégitime que s’installer à Haïfa ?" comme le raconte Alain  Finkielkraut dans La réprobation d’Israël. (2) Les conséquences de la conquête de 1948,  c’est-à-dire la Naqba, la destruction de la société palestinienne,  disparaissent derrière un discours qui se veut de paix.
On oublie aussi que la seule tentative de paix a été  faite par Yasser Arafat qui proposait en 1988 le principe de la  reconnaissance de deux Etats, l’israélien sur le frontière de 1949 (soit  78% du territoire palestinien), le palestinien sur les 22% restant.  C’était poser le principe de "la paix contre les  territoires" mais il n’y a jamais eu de réponse israélienne.
Ce qu’on appelle la colonisation  n’est en fait qu’une annexion déguisée. On peut alors poser la  question : pourquoi l’Etat d’Israël qui a annexé Jérusalem n’a-t-il pas  annexé les territoires qu’il convoite et qu’il considère comme faisant  partie de son territoire ?
Annexer Jérusalem avait une valeur symbolique et cela  permettait cette rodomontade qui consiste à proclamer Jérusalem capitale  éternelle d’Eretz Israël ; qu’importe alors que les nations, y compris  les nations alliées d’Israël, ne reconnaissent pas cette annexion, c’est  l’Etat d’Israël et lui seul qui décide de sa capitale. Alors pourquoi  ne pas annexer la Judée-Samarie qui est, pour le sionisme, le berceau de  la nation juive. Ce n’est pas une question de droit international pour  un Etat qui a montré qu’il savait s’en moquer. Annexer la Judée-Samarie  implique que la population qui y réside devienne israélienne, autrement  dit l’annexion implique un surplus de population indésirable et cela  l’Etat d’Israël ne peut l’accepter.
Face à ce problème, l’Etat d’Israël a décidé de  pratiquer une annexion de fait. Occuper le maximum de territoire tout en  rendant la vie de plus en plus difficile pour les Palestiniens qui  s’entêtent à rester dans leur pays.
L’occupation a un objectif, préparer l’annexion de ce  que les Israéliens appellent "les territoires disputés", comme si le  statut de ces territoires restait indéfini dans l’attente qu’ils  reviennent à leur propriétaire naturel, Eretz Israël.
La guerre de 1948 n’est pas achevée comme l’expliquait  Tania Reinhart (3), la Judée-Samarie, terre juive, ne peut être  que juive.
Alors, quand le président des Etats-Unis demande le gel  des implantations pour relancer les négociations, Israël peut s’en  moquer et finit par proposer un compromis : gel de dix mois des  implantations, lequel ne prend pas en compte les bâtiments en  construction et ne concerne pas Jérusalem. Et pour mieux montrer sa  détermination, le gouvernement israélien annonce, lors de la visite du  vice-président Biden, pourtant sympathisant d’Israël, la construction de  1 600 logements à Jérusalem-Est ; devant la réaction américaine,  Netanyahou s’excuse : "il ne fallait pas l’annoncer  pendant la visite de Biden", comme si la question était celle de la  visite de Biden. A cela s’ajoute la construction d’une synagogue à  Jérusalem-Est, double provocation, d’une part envers les Palestiniens  pour leur rappeler qui est le maître, d’autre part envers les alliés  occidentaux pour leur rappeler qu’Israël ne transige pas. Que cette  synagogue soit la reconstruction d’une ancienne synagogue détruite par  les Jordaniens importe peu ici, la question est moins religieuse que  politique, il s’agit de montrer aux Palestiniens que Jérusalem est une  ville juive donc israélienne (4). Une fois de plus, l’Etat d’Israël utilise le  religieux pour mettre en avant sa politique.
A ces provocations israéliennes, ses alliés, les  Etats-Unis et l’Union européenne n’opposent que des prières : "Messieurs les Israéliens, cessez de provoquer, acceptez de  gelez les implantations pour reprendre les négociations". Comme s’il  y avait des négociations à reprendre ! Et comme toujours on demande à  l’Autorité palestinienne de reprendre des négociations qui n’existent  pas en oubliant l’occupation, l’annexion rampante que constituent les  implantations, le blocus de Gaza. Que les Palestiniens se montrent  compréhensifs pour deux ! Tel est le discours de ceux qui jouent à la  paix. Et on pourra dire ensuite que si les négociations ont échoué, la  responsabilité incombe aux Palestiniens incapables de faire la moindre  concession, discours qui revient à chaque fois qu’un processus dit de  paix s’arrête, occultant ainsi que l’objectif d’un processus de paix est  de ne pas aboutir.
Il semble que cette fois-ci l’Autorité palestinienne  refuse de jouer au processus et à la négociation. Mahmoud Abbas vient de  déclarer, lors de la réunion de la Ligne arabe, que, sans gel de la  colonisation, il n’y aurait pas de négociations, directes ou indirectes.  C’est le minimum que l’on puisse exiger. On sait que, dans l’état  actuel des territoires laissés aux Palestiniens, il n’y a pas d’Etat  possible, autrement dit que la solution de deux Etats, proposée il y a  plus de vingt ans par Arafat, n’a aucun sens. On sait aussi que si la  concession faite en 1988 par Arafat pouvait avoir un sens à l’époque,  aujourd’hui elle n’a plus de sens et les gouvernements israéliens  successifs sont là pour le rappeler. Israël refuse la solution des deux  Etats tout simplement parce qu’il exige toute la Palestine.
Quant au Secrétaire général de l’ONU, après être allé à  Gaza, il se contente de demander aux Israéliens de lever le blocus. A sa  décharge, il sait qu’il n’a aucun moyen de coercition sur Israël, il  sait que ces moyens dépendent du bon vouloir des Etats-Unis et de  l’Union européenne et que l’ONU n’a aucun pouvoir de décision.
Quant au célèbre quartette qui devait conduire à la  création de l’Etat de Palestine en 2005, il se contente encoure une fois  de demander à Israël de faire quelques concessions.
Israël peut dire "NON", il sait que les puissances se  contenteront de quelques prières auxquelles il ne répondra pas. Ainsi  occupation et annexion rampante peuvent continuer. Les seuls qui en  souffrent sont les Palestiniens. Mais qui s’en soucie ?
Tel est aujourd’hui l’état des lieux. Devant  l’incapacité des puissances, incapacité volontaire ou non peu importe,  il ne reste que le soutien aux Palestiniens, et c’est le rôle de BDS  (boycott, désinvestissement, sanction) que de marquer ce soutien. Ce  rôle est double, d’une part soutenir la lutte des Palestiniens, d’autre  part dénoncer la complicité des Etats qui laissent faire voire  soutiennent la politique israélienne.
Que certains voient dans BDS une forme d’antisémitisme à  réprimer montre seulement leur complicité avec une politique de  conquête et d’oppression (5). Mais c’est l’argument essentiel d’Israël et de  ses alliés de lancer des accusations d’antisémitisme dès qu’on critique  la politique israélienne, effet de manche facile alors qu’il est  nécessaire de distinguer Juifs et sionistes et d’exiger que les  responsables israéliens cessent de jouer aux représentants des Juifs du  monde.
Rudolf Bkouche
UJFP (Union Juive Française pour la Paix)
[1] Zeev Sternhell, Aux origines d’Israël , Gallimard, Paris 1996/2004
[2] Alain Finkielkraut, La réprobation d’Israël, "Médiations",  Denoël/Gonthier, Paris 1983
[3]Tanya Reinhart, Détruire la Palestine, traduit de l’anglais par Eric  Hazan, La fabrique éditions, Paris 2002
[4] C’est ainsi que  Netanyahou clame que les Juifs bâtissent à Jérusalem depuis 3000 ans,  réaffirmant une fois de plus la continuité entre l’Israël antique et  l’Etat d’Israël.
[5] On peut citer  l’amalgame fait pas François Fillon au dîner du CRIF entre produis  israéliens et produis cachères, amalgame repris par Michèle  Alliot-Marie, ministre de la Justice. On peut citer aussi l’article  imbécile et odieux de Michaël Ghnassia sur la dérive des  pro-Palestiniens (Le Monde, 24/03/10).
                Diffusé par palestine@palestine.org - 28 mars 2010
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8429
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