Gilles Paris
Que faut-il comprendre des déclarations de  Bernard Kouchner au Journal du Dimanche et à la tribune qu’il publie  dans le Monde daté du 23 février avec son homologue espagnol Miguel  Angel Moratinos, ancien émissaire de l’Europe pour le Proche-Orient  (1996-2003) ?
Dans les premières,  M. Kouchner déclare dans son style inimitable : “La question qui se  pose, en ce moment, c’est la construction d’une réalité :  la France  forme des policiers palestiniens, des entreprises se créent en   Cisjordanie… Ensuite, on peut envisager la proclamation rapide d’un Etat  palestinien, et sa reconnaissance immédiate par la communauté  internationale, avant même la négociation sur les frontières. Je serai  tenté par cela”, poursuit le ministre qui ajoute aussitôt : “Je ne suis  pas sûr d’être suivi, ni même d’avoir raison.”
Dans la tribune, les deux ministres dressent le tableau  suivant : “Dès maintenant, l’Europe pourrait promouvoir, sur le terrain,  des mesures de confiance audacieuses aux deux parties afin d’aider  simultanément cette relance de la négociation qui doit se produire tout  de suite. Elle pourrait aussi accueillir une conférence au sommet pour  la paix permettant de conforter et d’encadrer cette dynamique (…)  A  l’issue (sic), l’Europe, comme elle s’y est déjà engagée, reconnaîtrait  collectivement l’Etat palestinien pour que la Palestine devienne enfin  un membre à part entière de la communauté des nations, vivant en paix et  en sécurité à côté de l’Etat d’Israël.”
M. Kouchner est-il un intrépide en proposant la  reconnaissance d’un Etat avant un accord sur des frontières ? Point du  tout. Cette perspective a été esquissée très précisément dès 2002 dans  la “feuille de route” publiée en 2003 et à la rédaction de laquelle  avait activement participé M. Moratinos. Rappelons que cette “feuille de  route” prévoyait en trois phases la création d’un Etat palestinien au  plus tard en décembre 2005. Voici que que ce texte prévoyait à  mi-parcours :
“Pendant la seconde phase, les efforts seront concentrés  sur l’objectif consistant à créer, à titre d’étape sur la voie d’un  accord sur le statut définitif, un État palestinien indépendant, doté de  frontières provisoires et des attributs de la souveraineté et fondé sur  la nouvelle constitution.” La “feuille de route” ajoute “les membres du  Quartet [Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies]  préconisent la reconnaissance internationale de l’État palestinien, avec  éventuelle adhésion à l’Organisation des Nations Unies.”
Autrement dit, rien de neuf, pas même l’idée défendue  par le président Nicolas Sarkozy d’une conférence internationale (qu’il  voudrait voir se tenir à Paris), mentionnée par les deux ministres et  également prévue par la “feuille de route” pendant cette deuxième  phase :
“Convoquée par le Quartet en consultation avec les  parties et immédiatement après la tenue des élections palestiniennes  dans des conditions satisfaisantes, elle a pour objet de soutenir la  relance économique palestinienne et de lancer un processus qui conduira à  la création d’un État palestinien indépendant doté de frontières  provisoires.”
La “feuille de route” est le document de référence  accepté par toutes les parties, même si elle a bien vieillie (la  deuxième phase à laquelle on fait référence devait s’ouvrir en…juin 2003  pour s’achever en décembre de la même année.)
Qu’un ministre des affaires étrangères la redécouvre  sans s’en apercevoir (sans être sûr “d’avoir raison”), et qu’il se  trouve des responsables israéliens pour s’en indigner (“Accorder une  telle reconnaissance alors que les dossiers du conflit ne sont pas  réglés ne ferait que jeter de l’huile sur le feu. Cela ne pourrait que  pousser les Palestiniens à se montrer encore plus intransigeants et à  rendre ainsi tout compromis impossible”, responsable anonyme cité par  l’AFP [1]), en dit long  sur sa pertinence et sur la confusion qui entoure le processus de paix.
[1] voir aussi le NouvelObs :
Etat palestinien : Israël répond non à Kouchner
Le ministre Français des affaires étrangères avait  souhaité hier la reconnaissance d’un Etat palestinien, avant même le  tracé des frontières.
Israël s’oppose à l’idée évoquée par le ministre  français des Affaires étrangères Bernard Kouchner d’une reconnaissance  d’un Etat palestinien avant la conclusion des négociations sur ses  frontières, a indiqué dimanche 21 février un responsable israélien.  "Imposer un tel semblant de solution partielle de l’extérieur va à  l’encontre de l’idée même de paix", a affirmé à l’AFP un haut  responsable israélien, qui a requis l’anonymat. "Accorder une telle  reconnaissance alors que les dossiers du conflit ne sont pas réglés ne  ferait que jeter de l’huile sur le feu. Cela ne pourrait que pousser les  Palestiniens à se montrer encore plus intransigeants et à rendre ainsi  tout compromis impossible", a-t-il prédit. Bernard Kouchner avait estimé  qu’"on peut envisager" la proclamation et une "reconnaissance  immédiate" d’un Etat palestinien avant même les négociations sur ses  frontières, dans une interview samedi au Journal du Dimanche.
Les négociations sont au point  mort
"La question qui se pose, en ce moment, c’est la  construction d’une réalité : la France forme des policiers palestiniens,  des entreprises se créent en Cisjordanie...", avait déclaré le ministre  français. "Ensuite, on peut envisager la proclamation rapide d’un Etat  palestinien, et sa reconnaissance immédiate par la communauté  internationale, avant même la négociation sur les frontières", avait  ajouté le chef de la diplomatie française. "Je serai tenté par cela  (...). Je ne suis pas sûr d’être suivi, ni même d’avoir raison",  avait-il également souligné. Le Premier ministre palestinien Salam Fayyad a pour sa part déclaré son  intention de donner naissance à un Etat palestinien "dans les faits et  sur le terrain" en 2011, quelle que soit l’avancée des discussions avec  Israël. Les négociations de paix entre Israël et les Palestiniens sont  au point mort. Le président palestinien Mahmoud Abbas, en visite en  France dimanche et lundi, a accepté le principe de discussions  indirectes avec l’Etat hébreu sous l’égide des Etats-Unis. Les  Palestiniens demandent que leur futur Etat soit basé sur les frontières  d’avant la guerre israélo-arabe de juin 1967, avec comme capitale la  partie arabe de Jérusalem, conquise et annexée par Israël.
(Nouvelobs.com avec AFP)  http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...
publié sur le blog du Monde  "Guerre ou paix"