Ian Black
Le Mossad, comme tout autre service de  renseignement, cherche à attirer l’attention simplement quand quelque  chose va mal, ou pour se vanter d’un succès spectaculaire et qu’il veut  envoyer un avertissement à ses ennemis.
En novembre dernier, une  femme israélienne vigilante, nommée Niva Ben-Harush, a alerté la police  parce qu’un jeune homme était en train de fixer quelque chose qui  ressemblait étrangement à une bombe sous une voiture, dans une rue  tranquille du port de Tel-Aviv. Quand la police arrêta le jeune homme,  celui-ci prétendit qu’il était un agent du service secret Mossad, et  qu’il participait à un exercice d’entraînement : son histoire était  vraie, même si la bombe était factice.
Aucun commentaire à ce sujet n’a été fait par le cabinet  du Premier ministre israélien qui est la voix officielle – parlant  systématiquement pour ne rien dire – de l’organisation d’espionnage du  pays, mondialement célèbre. Le poseur de bombe maladroit n’eut droit  qu’à quelques mots laconiques aux infos locales du soir.
Il existe, cependant, un autre action, plus importante –  et qui fut diffusée dans le monde entier –, il y a eu deux ans cette  semaine -, où une bombe explosa dans un jeep Pajero, à Damas, décapitant  un homme du nom de Imad Mughniyeh. Mughniyeh était un chef militaire du  mouvement chiite Hezbollah, allié de l’Iran, et qui était recherché par  les Etats-Unis, la France et une demi-douzaine d’autres pays. Israël  s’en est toujours tenu au sibyllin, hochant la tête et faisant des clins  d’œil, quand il était question de cet assassinat au cœur de la capitale  syrienne, mais beaucoup ont pensé qu’il s’agissait là de l’une de ses  opérations clandestines les plus audacieuses et les plus raffinées.
Le Mossad, comme tout autre service de renseignement,  cherche à attirer l’attention simplement quand quelque chose va mal, ou  pour se vanter d’un succès spectaculaire et qu’il veut envoyer un  avertissement à ses ennemis. L’assassinat le mois dernier d’un haut  responsable du Hamas à Dubaï, au cœur aujourd’hui d’une agitation  diplomatique brûlante entre Israël et la Grande-Bretagne, est un curieux  mélange des deux.
Avec ses passeports étrangers clonés, ses multiples  camouflages, ses moyens de communication ultramodernes et le présumé  contrebandier d’armes Mahmoud al-Mabhou – l’un des rares points de  l’intrigue non enregistré par les caméras de vidéosurveillance de  l’Emirat -, il y a tout pour un conte fascinant sur le culot, la  violence et la froide détermination de la profession.  Et avec le  mouvement islamique palestinien qui maintenant promet de se venger, il  semble qu’il y ait un certain acharnement pour qu’un nouveau bain de  sang suive.
Les images en provenance de Dubaï entrent dans la  logique de l’injonction biblique (et de la vieille devise du Mossad) :  « Par la tromperie, la guerre mèneras ». Le travail de l’agence, comme  son site l’explique plus prosaïquement, est de « collecter  l’information, d’analyser les renseignements et d’effectuer des  opérations spéciales clandestines au-delà des frontières (d’Israël). »
Fondé en 1948 en même temps que le nouvel Etat juif, le  Mossad est surtout resté dans l’ombre dans ses premières années. Yitzhak  Shamir, un ancien du gang terroriste Stern et futur Premier ministre,  monta des opérations avec pour cibles des scientifiques allemands qui  aidaient l’Egypte de Nasser à fabriquer des missiles – préfigurant les  futures campagnes israéliennes visant à perturber les tentatives  iraquiennes et (toujours en cours) iraniennes pour acquérir des armes  nucléaires ou autres.
Parmi les exploits les plus célèbres du Mossad, il y a  l’enlèvement du criminel de guerre nazi en fuite, Adolf Eichmann, qui  fut par la suite jugé et pendu en Israël. Egalement, la préparation de  la défection du pilote iraquien qui amena son Mig-21 en Israël, et le  soutien aux rebelles kurdes iraquiens contre Bagdad. Les secrets  militaires soutirés par Elie Cohen, le tristement célèbre espion qui  infiltra la direction syrienne, ont aidé Israël à s’emparer du plateau  du Golan pendant la guerre du Moyen-Orient en 1967.
Ce n’est que par la suite que le rôle du service s’est  élargi au combat contre les Palestiniens qui avaient été galvanisés sous  Yasser Arafat dans leur résistance à Israël en Cisjordanie et la bande  de Gaza nouvellement occupées. Les années 70 connurent ce que l’on a  appelé la « guerre des espions » avec des agents du Mossad opérant sous  couverture diplomatique étrangère, recrutant et dirigeant des  informateurs au sein du Fatah et d’autres groupes palestiniens. Baruch  Cohen, un indic prêté au Mossad par le Shin Bet, les services de  sécurité intérieurs, a été abattu dans un café à Madrid par son propre  agent. Bassam Abu Sharif, du Front populaire pour la libération de la  Palestine, parti marxiste, a été défiguré par un colis piégé que le  Mossad lui avait envoyé à Beyrouth.
Le film de Steven Spielgerg, Munich, en 2006 a participé  à créer le mythe d’un Mossad à la poursuite des terroristes de  Septembre Noir qui avaient massacré 11 athlètes israéliens aux Jeux  olympiques de 1972. Onze d’entre eux avaient été éliminés dans des  assassinats en Europe, spécialement dans la petite ville norvégienne de  Lillehammer, où un garçon de café marocain avait été pris par erreur  pour Ali Hassan Salameh, le cerveau du complot du Munich. Salameh fut  par la suite assassiné par une voiture piégée à Beyrouth, en 1979, le  genre d’incident qui fait que les Libanais et les Palestiniens font  particulièrement attention à l’épisode de l’entraînement bâclé de  l’année dernière à Tel-Aviv.
Certains détails de l’assassinat de Mabhouh le mois  dernier rappellent la campagne contre Septembre noir – qui s’est  terminée par l’arrestation catastrophique de cinq agents du Mossad.  Sylvia Raphael, chrétienne née en Afrique du sud de père juif, a passé  cinq ans dans une prison norvégienne ; elle a pu faire partie de ces  jeunes Européens d’Israël qui furent discrètement contactés, dans des  bureaux anonymes à Tel-Aviv, pour savoir s’ils aimeraient se porter  volontaires pour des missions sensibles touchant à la sécurité d’Israël.  D’autres agents qui avaient été brûlés ont dû être rappelés, des  maisons sûres abandonnées, des numéros de téléphone changés et des  méthodes opérationnelles modifiées.
Au fil des années, l’image du Mossad s’est sérieusement  ternie, en Israël comme à l’étranger. Il lui était reproché notamment de  n’avoir pas su éventer les projets égypto-syriens de l’attaque  dévastatrice qui déclancha la guerre du Yom Kippur en 1973. Les  critiques se sont demandés si les espions n’avaient pas eu comme  première priorité de traquer les combattants palestiniens dans les  banlieues des cités européennes, au lieu d’avoir à s’emparer des secrets  du Caire et de Damas. Le Mossad a aussi joué un rôle important, bien  que toujours méconnu, dans la fourniture clandestine d’armes à  l’Ayatollah Khomeini pour l’aider à combattre l’Iraq de Saddam Hussein,  partie intégrante du scandale de l’Iran-Contra (Irangate) sous la  présidence Ronald Reagan.
Il a, en outre, encaissé des coups, par moment, venant  de ses propres agents mécontents. En 1990, un ancien agent, né au  Canada, et qui s’appelait Victor Ostrovsky, dénonça sa propre  organisation interne, pour sa formation et ses méthodes, révélant des  noms codés comme « Kidon » (baïonnette), l’unité qui a la charge des  assassinats. Une campagne de diffamation officielle n’a pas réussi à  empêcher la sortie du livre d’Ostrovsky, aussi l’agence est restée calme  quand une autre accusation intérieure fut portée ostensiblement en  2007. Celle-ci évoquait l’usage de radios ondes courtes pour l’envoi de  transmissions codées, les opérations en Iran pour recueillir des  échantillons du sol, et des opérations communes avec la CIA contre le  Hezbollah.
Mais la pire des missions s’est présentée en 1997,  pendant le premier mandat de Premier ministre de Benjamin Netanyahu. Les  agents du Mossad essayèrent, en vain, d’assassiner Khaled Mash’al – ce  même dirigeant Hamas qui menace aujourd’hui de représailles pour  l’assassinat de Mabhouh – en lui injectant du poison dans l’oreille, à  Amman, Jordanie. Utilisant des passeports canadiens falsifiés, ils  avaient fui vers l’ambassade israélienne, provoquant l’indignation et  une énorme crise diplomatique avec la Jordanie. Danny Yatom, alors chef  du Mossad, avait été obligé de laisser tomber. Ephraim Halevy, ancien  membre du Mossad, londonien, fut sorti de sa retraite paisible pour  remettre de l’ordre.
L’assassinat de Dubaï, cependant, pourrait s’avérer plus  dommageable – notamment parce que le contexte politique et diplomatique  a changé lors de la dernière décennie. La réputation d’Israël a pris  des coups comme jamais,  pour descendre au plus bas lors de l’opération  Plomb durci de l’an dernier, contre la bande de Gaza. « Dans le climat  actuel, les traces que va laisser Dubaï sont susceptibles de causer de  sérieux préjudices à l’image internationale d’Israël, » estimait hier  l’ancien diplomate Alon Liel.
Même si Israël maintient sa politique rituelle d’  « ambiguïté » à l’égard des opérations clandestines, refusant de  confirmer ou d’infirmer toute implication dans l’affaire de Dubaï,  personne au monde ne semble sérieusement la remettre en question. Y  compris quasiment toute la presse israélienne, liée par les règles de la  censure militaire, dans un petit pays bavard où les secrets sont  souvent assez largement découverts.
Il serait surprenant que cette extraordinaire histoire  ne révélât pas, comme élément clé, le rôle joué par les Palestiniens. La  pratique du Mossad a toujours été de recruter des agents doubles, comme  il le fit avec l’OLP dans les années 70. La nouvelle de l’arrestation à  Damas d’un autre agent de premier plan du Hamas – malgré le démenti de  Mash’al – semble aller dans cette direction. Deux autres Palestiniens  extradés de Jordanie vers Dubaï, membres de la branche armée du Hamas,  les Brigades Izzedine al-Qassam, laissent supposer l’existence d’une  possible trahison. Des assassinats antérieurs avaient impliqué un agent  palestinien pour identifier la cible.
Yossi Melman, spécialiste des renseignements au  quotidien Ha’aretz d’Israël, craint que, comme avant la guerre de 1973,  le gouvernement israélien ne fasse l’erreur de se focaliser sur le  mauvais adversaire – les Palestiniens – au lieu de donner la priorité à  l’Iran et au Hezbollah.
« Le Mossad n’est pas une société d’assassins, comme la  Mafia ; son but n’est pas de se venger de ses ennemis, » écrit-il cette  semaine. « Les ‘opérations spéciales’ comme l’assassinat à Dubaï – si  c’est effectivement une opération du Mossad – ont toujours représenté  une proportion relativement faible de son activité globale. Néanmoins,  ce sont des opérations qui donnent son auréole à l’organisation, son  image brillante. Cela risque en fin de compte d’aveugler ses propres  rangs, de les intoxiquer par leur propre succès, et ainsi, de détourner  leur attention de leur mission première. »
D’un point de vue israélien officiel, le Mossad a une  tâche importante à remplir. Sa réputation d’insensibilité et de ruse  reste un atout puissant, poussant à ce qui semble être parfois comme une  admiration réticente, ou une répugnance dans le monde arabe – où une  prédisposition pour les théories de conspirations stimule l’action de la  guerre de désinformation et psychologique, à laquelle on dit que les  Israéliens excellent.
D’après la version officielle du gouvernement,  naturellement, le Hamas est une organisation terroriste qui a mis au  point des attentats suicides atroces, tiré des milliers de missiles sur  des cibles civiles israéliennes et – malgré des signes occasionnels de  pragmatisme ou de disponibilité à une trêve temporaire ou à un échange  de prisonniers – qui reste voué à la destruction de l’Etat juif. Le  gouvernement refuse de reconnaître que sa colonisation toujours en cours  en Cisjordanie reste l’obstacle important à la paix.
Dans les pays occidentaux, notamment en Grande-Bretagne,  une colère générale s’est manifestée devant les 1 400 victimes  palestiniennes de la guerre de Gaza. Barack Obama a qualifié  l’occupation d’ « intolérable ». Netanyahu dirige la coalition la plus à  droite de l’histoire d’Israël ; sa célèbre boutade comme quoi le  Moyen-Orient serait un « voisinage difficile » ne semble plus justifier  de la jouer en traître.
Pourtant, les Israéliens, et pas seulement ceux de  droite, s’inquiètent de voir leur existence même, en tant qu’Etat  indépendant, en train de perdre sa légitimité. Et, à en juger par la  rubrique Emplois du site du Mossad, il y a toujours bien des  opportunités pour les espions en herbe : des postes motivants sont  disponibles pour les chercheurs, les analystes, les agents sécurité, les  cryptographes et autres techniciens. Ceux qui parlent arabe et perse  sont invités à déposer une candidature comme agents de renseignements.  La fonction implique des déplacements à l’étranger et un environnement  « jeune et peu conventionnel ».
C’est une nouveauté dans cet histoire que des citoyens  israéliens ordinaires soient furieux que leur identité semble avoir été  volée par des agents secrets de leur propre gouvernement – une raison  pour laquelle les jours du chef du Mossad, Meir Dagan, pourraient bien  être comptés. Mais il est difficile de ne pas sentir, sous-jacente, une  admiration populaire pour les assassins de Mabhouh. Le lendemain où les  images sensationnelles de vidéosurveillance et les photos des passeports  ont été diffusées, le champion de tennis israélien, Shahar Pe’er  arrivait en quart de finale dans une compétition internationale  importante aux Emirats. « Nouvelle opération réussie à Dubaî », titrait  le site Ynet.
Ofer Kasti, correspondant pour l’enseignement à  Ha’aretz, n’a pas eu son passeport cloné, mais il ressemble de façon  frappante au membre du commando nommé Kevin Daveron. « Ma maman a appelé  et m’a gentiment demandé si je m’étais rendu à l’étranger récemment »,  écrit-il. « Des amis m’ont demandé pourquoi je n’avais pas ramené des  cigarettes de la boutique duty free de Dubaï. Je sentais les regards  admiratifs sur moi dans la rue. "Bien joué" a dit une vieille femme en  venant vers moi dans un supermarché et en me tapant sur l’épaule. "Vous  en avez fait voir aux Arabes" ».
publié par Mifath
http://www.miftah.org/Display.cfm?D... traduction : JPP pour l’AFPS