22 février 2010 
« Le problème, avec le Mossad, c’est qu’il agit  comme un fief indépendant qui ignore les intérêts vitaux politiques et  stratégiques à long terme d’Israël, tout en bénéficiant du soutien  automatique d’un Premier ministre irresponsable, » écrit Uri Avnery, qui  compare ce service secret à un « canon désarrimé » balayant le pont du  navire dans sa course folle. Vécue comme un succès en Israël, le dommage  sur la scène internationale provoqué par cette opération est pourtant  considérable, juge-t-il. « L’affaire de Dubaï renforce l’image d’un Etat  d’Israël brutal, d’une nation voyou qui traite avec mépris l’opinion  internationale, d’un pays qui mène une guerre de gang, qui envoie à  l’étranger des équipes semblables à celles de la mafia, d’une nation   paria que devraient éviter les gens sensés. » Et de poser à ses  concitoyens la question suivante : « était-ce utile ? »
 Par Uri Avnery, Gush Shaom, 20 février 2010 -  extrait
La semaine dernière, on a assisté à un déluge de mots  sur l’assassinat à Dubaï de Mahmoud Al-Mabhouh,  un  haut dirigeant du  Hamas.
Les israéliens ont reconnu dès le premier instant qu’il  s’agissait du travail du Mossad. Quelles capacités ! Quel talent !  Comment ont-ils su longtemps à l’avance quand l’homme irait à Dubaï,  quel  vol il prendrait,  dans quel hôtel il séjournerait ! Quelle  planification remarquable !
A l’écran, les « correspondants militaires » et « les  correspondants sur les affaires arabes » étaient radieux. Leurs visages  disaient : ah....si le sujet n’était pas sous embargo ... Si seulement  je pouvais vous dire ce que je sais ... je peux seulement vous dire que  le Mossad a prouvé à nouveau qu’il avait le bras long et pouvait agir  n’importe où ! Ah ! Que vivent dans la peur les ennemis d’Israël !
Lorsque les problèmes ont commencé à se manifester, et  que les photos des assassins sont apparues sur les télévisions du monde  entier, cet enthousiasme s’est refroidi, mais seulement légèrement. Une  méthode israélienne ancienne et éprouvée a été utilisée : se saisir d’un  détail annexe  et  en discuter avec passion, en ignorant la question  principale. Se concentrer sur l’arbre   et détourner son attention de la  forêt.
Pourquoi donc les agents ont-ils utilisé les noms de  personnes réelles qui vivent en Israël et jouissent de  la double  nationalité ? Pourquoi, parmi tous les passeports possibles, ont-ils  utilisé ceux de pays amis ? Comment pouvaient-ils être sûrs que les  propriétaires de ces passeports ne seraient pas en voyage à l’étranger  au moment critique ?
Par ailleurs, n’étaient-ils pas conscients qu’à Dubaï  les caméras sont omniprésentes et enregistrent chaque mouvement ?  N’avaient-ils pas prévu que la police locale montrerait les images de  l’assassinat dans presque tous ses détails ?
Mais cela n’a pas soulevé énormément d’intérêt en  Israël. Tout le monde  a compris que les Britanniques et les Irlandais  étaient obligés de protester pour la forme, mais que cela n’était qu’un  geste obligé. Dans les coulisses, il existe des liens intimes entre le  Mossad et les autres agences de renseignement. Après quelques semaines,  tout sera oublié. Voilà comment cela s’est déroulé en Norvège après  Lillehammer [à la suite d’une opération du même type, où le Mossad  s’était trompé sur l’identité de sa cible - ndlr], et comment cela s’est  passé en Jordanie [après la tentative ratée d’empoisonnement de Khaled  Meshal]. Ils vont protester,  réprimander, et ce sera tout. Alors, quel  est le problème ?
Le problème, avec le Mossad, c’est qu’il agit comme un  fief indépendant qui ignore les intérêts vitaux politiques et  stratégiques à long terme d’Israël, tout en bénéficiant du soutien  automatique d’un Premier ministre irresponsable. Il s’agit, comme le  disent les anglais d’un « canon désarrimé - le  canon d’un navire  d’antan qui a rompu ses fixations et roule sur le pont,  écrasant tout  malheureux marin placé sur son chemin.
Sur le plan stratégique, l’opération de Dubaï provoque  des dommages importants pour la politique du gouvernement, qui consiste à  présenter  la supposée bombe nucléaire de l’Iran comme une menace  existentielle pour Israël. Cette campagne contre l’Iran l’aide à  détourner l’attention du monde entier de l’occupation continue et de la  colonisation, et elle amène les États-Unis, l’Europe et d’autres nations  à danser à son rythme.
Barack Obama tente de rassembler une coalition mondiale  pour imposer des « sanctions épuisantes » pour l’Iran. Le gouvernement  israélien lui sert - volontairement - de chien méchant. Obama  dit aux  Iraniens : les Israéliens sont fous. Ils peuvent vous attaquer à tout  moment. Je les retiens très difficilement. Mais si vous ne faites pas ce  que je vous demande, je vais lâcher la laisse et   qu’Allah aie pitié  de votre âme !
Dubaï, un pays du Golfe situé face à l’Iran, est une  composante importante de cette coalition. C’est un allié d’Israël, tout  comme l’Egypte et la Jordanie. Et voici que ce même gouvernement  israélien l’humilie et fait naitre  parmi les masses arabes le soupçon  que Dubaï collabore avec le Mossad.
Dans le passé, nous avons embarrassé la Norvège,   nous  avons rendu furieuse la Jordanie, et aujourd’hui nous humilions Dubaï.  Est-ce avisé ? Posez la question à Meir Dagan, que Netanyahou vient de  confirmer pour une huitième année dans ses fonctions de chef du Mossad,  circonstance presque sans précédent.
L’impact de cette opération sur notre réputation dans le  monde sera peut-être encore plus significatif.
Par le passé, il était loisible de minimiser cette  dimension. Laissez les « goyim » dire ce qu’ils veulent. Mais depuis  l’opération Plomb Durci, Israël est devenu plus conscient des  répercussions, qui sont  d’une portée considérable. Le verdict du juge  Goldstone, les échos des pitreries d’Avigdor Lieberman, la campagne  mondiale grandissante en faveur d’un boycott d’Israël - tout cela   laisse à penser que Thomas Jefferson ne parlait pas pour ne rien dire  lorsqu’il a affirmé qu’aucune nation ne peut se permettre d’ignorer  l’opinion de l’humanité.
L’affaire de Dubaï renforce l’image d’un Etat d’Israël  brutal, d’une nation voyou qui traite avec mépris l’opinion  internationale, d’un pays qui mène une guerre de gang, qui envoie à  l’étranger des équipes semblables à celles de la mafia, d’une nation   paria que devraient éviter les gens sensés.
Était-ce utile ?