Marianne
Opinion : Jean Daniel et Maurice Szafran à  propos du Crif
"J’aurais pu écrire votre  article. Je le signe et le contresigne.
Cela fait désormais trop longtemps que le Crif  s’autoproclame une représentation, qui est infondée et souvent nocive.
Quelle que soit la qualité de certains qui en font  partie et qui se déclarent à regret minoritaires, il faut bien constater  que les dérapages communautaristes du Crif deviennent de plus en plus  nombreux et alimentent un antisémitisme à la fois insidieux et secret.
Pour le moment, personne n’ose dire que le roi est nu et  que dans certaines affaires qui relèvent soit de la solidarité  inconditionnelle et aveugle avec l’extrême droite de l’Etat d’Israël,  soit d’un judéo-centrisme obsessionnel et névrotique, les juifs ne  peuvent plus se sentir en sécurité intellectuelle.
Je vous laisse libre de faire de cette lettre l’usage  qui vous conviendra.
Jean Daniel"
Edito de Maurice Szafran, paru dans le numéro 642 de  Marianne :
A propos d’Alexandre Adler, du Crif et de l’antisémitisme
Dans une récente chronique publiée dans Le Figaro,  l’excellent Alexandre Adler a délaissé son habituel registre – la vaste  explication diplomatico-stratégico-cosmique – pour mettre sévèrement en  cause une « certaine presse hebdomadaire » (le Nouvel Observateur et  Marianne, pour être précis) accusée de faire le jeu d’un « antisémitisme  insinuant ». Diantre, rien que ça !
Quelle ignominie avons-nous commise ?
(...)
L’affaire est simple : nous avons eu l’audace insensée,  qui vaut condamnation à mort idéologique, de nous en prendre à un  intouchable de la République, le Conseil représentatif des institutions  juives de France (CRIF).
Nous avons eu l’impudence de relever, avec une grande  sérénité de ton, qu’en vitupérant aussi fort les verdicts prononcés à  l’issue du procès Fofana, le Crif commettait deux erreurs lourdes de  conséquences. Dénonçant la « clémence » des réquisitoires et du jury  populaire (rappelons que l’assassin Fofana a écopé de la peine quasi  maximale), le Crif conteste le principe même dudit jury populaire,  conquête de la République. Est-ce seulement raisonnable ? Plus grave encore : d’un claquement de doigts, relayé par le président  de la République lui-même, le Crif a obtenu que la ministre de la  Justice, Michèle Alliot-Marie, fasse appel du jugement. En gonflant ses  biceps, en faisant jouer sa force, son influence, la crainte qu’il  provoque, le bras politique des juifs de France a mis en place une  implacable machine à fabriquer de… l’antisémitisme. Que va-t-on une  nouvelle fois fantasmer, dans les cités et ailleurs, sur l’influence  juive, sur la puissance juive, sur ce pseudo-lobby juif qui obtiendrait  du pouvoir politique ce qu’il veut, quand il veut, jusqu’à faire annuler  une décision de justice rendue au nom du peuple français ? Pourquoi  prendre le risque insensé de mettre ainsi le feu à la maison commune ?
Nous pouvons entendre qu’Alexandre Adler, et d’autres  d’ailleurs, ne partage pas notre compréhension du procès Fofana, de ses  conséquences. Le débat mérite d’être poursuivi, amplifié. Mais l’enjeu  va bien au-delà de ce jugement, aussi symbolique soit-il. Oui, nous  sommes radicalement hostiles à la communautarisation de la société  française qui entraînerait, à coup sûr, la désintégration du tissu  national. Oui, le Crif a franchi un pas supplémentaire en  communautarisant notre justice. Après une agression contre un gay, la  communauté homosexuelle estimera que, forcément, la punition est  insuffisante. Au lendemain d’une ratonnade, la communauté maghrébine  considérera que, par définition, police et justice lui sont  défavorables. Et ainsi de suite… Jusqu’où ?
Mais en quoi cette divergence, il est vrai importante,  justifie-t-elle qu’Alexandre Adler accable, même indirectement, Le  Nouvel Observateur et Marianne de l’infamante accusation  d’antisémitisme, serait-il « presque invisible » ?
Il se trouve que, dans l’esprit d’Adler, nous avons  commis un autre péché, impardonnable celui-là : nous nous en sommes pris  au président du Crif, Richard Prasquier - « l’honneur » de la  communauté juive de France, précise, non sans emphase ni une pointe de  ridicule, le chroniqueur du Figaro. Or, il faut rappeler à nos lecteurs  que le sieur Prasquier s’est singulièrement distingué : le numéro un du  Crif a insinué que le magistrat Philippe Bilger, avocat-général du  procès Fofana, avait fait preuve de mansuétude envers les accusés (ce  qui est faux) parce que… fils d’un collabo condamné à la Libération.  L’antisémitisme véhiculé par les gènes ! L’antisémitisme transmis de  père en fils !
Adler espérait-il notre silence complice face à pareille  exécution morale ? S’attendait-il à ce que nous ne renâclions pas à ce  concept de culpabilité héréditaire qui puise dans la tradition  totalitaire ? N’aurait-il pas été indispensable qu’Alexandre Adler, du haut de son  influente tribune, dénonce une dérive aussi pernicieuse, aussi  dégradante ? Le président du Crif, précisément parce que l’histoire des  juifs dans ce pays est si particulière, à la fois exaltante et tragique,  ne peut pas se lâcher comme un vil politicien de foire.
Parce que nous avons une haute idée du judaïsme  français, de sa place dans le République, nous tenions à ces quelques  précisions. [1]
[1] texte complet : http://www.marianne2.fr/A-propos-d-...